Sorcière

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Plus tard, en rentrant chez moi, je tentais de mettre un mot sur le sentiment que je ressentais à la rencontre de cette étrange fille. De la curiosité, de l'intrigation ?

La famille « Addams » était bizarre. Antoine et sa bande m'en avaient parlé plus d'une heure. On voyait parfois les parents se balader en tenue d'apparat, main dans la main. La mère paraissait folle, parlait aux animaux, dessinait des symboles étranges sur les murs et la route du village. Elle avait plusieurs fois dû payer des dommages et intérêts pour dégradations de biens d'autrui, mais continuait ses dessins en assurant autours d'elle que c'était des runes de protection afin d'éloigner le mauvais œil.

Le père était quand à lui un gentleman qui suivait les folies de sa femme avec amusement et bienveillance. Il semblait cautionner chacune des actions de son épouse et de sa fille, et prenait plaisir à effrayer les habitants. Il agissait comme un lord anglais, mais, comme moi, les habitants avaient remarqué qu'il ne collait pas tout à fait au personnage. Bien entendu, j'avais remarqué que sa femme et lui avaient une relation plus que passionnelle. Les tourtereaux étaient comme les doigts d'une main. Au dire de beaucoup, s'ils n'avaient pas été mari et femme, ils auraient pu être jumeaux.

Et Adelaïde, leur fille, était l'âme noire de la famille. On disait d'elle qu'elle sacrifiait des animaux dans la forêt et vénérait Satan.
En deux ans, toutes les personnes qui avaient tenté de l'approcher s'étaient retrouvés malades, ou avaient perdus quelque chose de cher pour eux, il y aurait même eu un mort (mort d'une pneumonie, certes, mais elle était soupçonnée d'avoir rendu ce gars malade). Elle cachait sa noirceur dans la peau d'une adolescente mais tout le monde disait qu'elle n'en était pas une. La rumeur selon laquelle la famille Crow était des sorciers et sorcières ne faisait pratiquement aucun doute pour la plupart des villageois.

Ayant écouté tout ça, je tremblais d'impatience de vraiment rencontrer la jeune fille.
Je mis sur ma platine vinyle le disque de Nina Simone et m'allongeais sur mon lit fraîchement monté en écoutant les premières notes de « feeling good ».
Pauline n'avait plus ouvert la bouche de la soirée.
Elle semblait en savoir plus que les trois autres sur ma voisine, et pas seulement les rumeurs.
Si je voulais avoir de vrais informations sur "Mercredi", il faudrait que je la travaille au corps pour obtenir d'elle quelques réponses. Au propre ou au figuré, cela restait à voir.

Je me surpris moi-même en me rendant compte de l'intérêt qu'animait Adelaïde en moi. Après tout, qu'est ce que j'en avais à faire de cette fille et de sa famille bizarre ?
Je n'étais arrivé qu'hier et n'avais entendu parler que de cette famille. Ce devait être la raison pour laquelle je m'intéressais tellement à eux.
Et puis, peut être à cause de ma mère, j'avais toujours aimé les choses étranges, flirtant avec le surnaturel. Qu'ils soient de véritables sorciers ou juste des bêtes de foire, ils gagnaient vraiment à être connus. Pour moi.

Je me roulai une cigarette et m'installai le rebord de la fenêtre que j'ouvrai.
Au même moment, je vis Adelaïde sortir de chez elle avec un panier en osiers à la main.
Je crachai ma fumée et sautai par la fenêtre pour le retrouver un étage plus bas, juste en face d'elle.
Elle n'avait même pas sursauté. Mes potes à Paris m'appelaient le félin parce que peut importe de quelle hauteur je sautais ou tombais, je retombais toujours sur mes pieds. J'étais aussi très silencieux. Mais pas silencieux à ce point.
Elle se tourna lentement vers moi et nos yeux se croisèrent pour la première fois.

La sorcière de la plaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant