La poupée en robe d'été

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Antoine me proposa de sortir en début de soirée dans un café de l'autre côté du village. Je pris mon blouson de cuir avant qu'il n'ait terminé sa phrase. Plus vite je rencontrerais
des gens, plus vite je pourrais les manipuler et plus vite je repartirais à Paris.
J'informai mon père et Antoine le sien de notre sorti et nous partîmes. Sur le chemin, mon nouveau pote envoya des SMS en rafale afin de réunir ses potes.
Dix minutes plus tard (je n'arrête pas de vous le dire, un village putain, même pas une ville), nous arrivions devant un café terrasse tout ce qu'il y a de plus banale. Des jeunes se tenaient déjà devant et en nous voyant arriver, ils levèrent la main dans un salut qui se voulait décontracté. Il y avait deux mecs et une fille que me présenta Antoine.
Le grand brun un peu gauche qui se présenta en premier s'appelait Léonard, l'autre gars, Sébastien. La blonde qui me faisait les yeux doux s'appelait Pauline. Je lui fit la bise et serrai les mains des mecs et nous entrâmes dans le café. Le barman salua mes nouveaux potes par leur prénom et m'adressa un signe de tête auquel je répondis.
L'intérieur du café était semblable à de nombreux autres auxquels j'avais pu me rendre, même s'il avait cette petite ambiance campagnarde bien marquée. Je ne faisais aucune réflexion alors que nous nous asseyions et lorsque Sébastien me demanda ce que je voulais boire, il explosa de rire lorsque je répondis « une bière ».
Ne voyant pas ce qu'il y avait de drôle dans ma réponse et ayant l'impression qu'il se foutait de moi, je croisai les bras et le fixai sombrement du regard, attendant qu'il cesse de rire. Ce qui arriva très vite.
- Désolé mec, c'est jusque qu'ici, avant 18 ans, l'alcool est interdit. Et comme c'est mon père le patron ici, ben...
- Ton père c'est le barman ? Je demandai abruptement.
- Euh, non.
- Ok.
Je me levai et allai commander directement ma pression au comptoir. Sans poser de question, le mec me servit et je le payais directement avant de retourner m'assoir avec les « -18 ans ».
Antoine et ses deux potes sifflèrent d'admiration, et la fille se colla à moi contre la banquette en minaudant. J'en avais déjà marre de cet endroit. À Paris, personne ne m'aurait pris pour un héros pour avoir acheter une bière. Je buvais même de la bière avec mon père c'est dire !
Les « ados » commandèrent leurs sodas et on commença à faire connaissance.
Vous êtes arrivés quand ?
Tu vas aller au lycée Descartes toi aussi ?
Tu habitais dans Paris ou juste la région parisienne ?
T'as visité la Tour Eiffel ?
Ton père a des origines asiatique non ? Du coup c'est ta mère qui est noire ?
Etcetera.
Leurs questions me saoulaient, et même si je répondais par monosyllabes, ils continuaient d'enchaîner les questions jusqu'à la fameuse : Et pourquoi vous avez quitté Paris ?
Au moment où la fille me posait la question, la porte s'ouvrit et une fille en robe d'été  noire entra.
Elle avait de longs cheveux noirs raides qui tombaient lourdement dans son dos et descendaient jusqu'à ses fesses.
Il n'y avait pas beaucoup de monde dans le café mais soudain, tous se turent en la voyant entrer.
Le silence était presque complet, seul une vieille chanson d'Aznavour passait en sourdine.
Je devinai qui elle était avant même qu'Antoine se penche vers moi pour me dire qu'elle était ma voisine.
La fille à côté de moi se redressa, cessant de me coller et la fixa avec une lueur de colère dans les yeux. Tout le monde la fixait d'ailleurs alors qu'elle avançait jusqu'au comptoir pour commander un milkshake vanille. Pauline se leva et se dirigea vers la nouvelle venue qui nous tournait le dos.
- Qu'est-ce que tu fais là toi ? Tu n'as rien à faire ici, dégage !
Je fus surpris de la véhémence de la blonde. La fille au cheveux noir se retourna alors et ses bras remplis de bracelets tintèrent. Je pensai à ses parents, en la regardant et tentai de faire des rapprochements biologique. Les cheveux noir de son père, la pâleur de teint de sa mère. Les yeux vert d'eau. Elle était belle. Elle ressemblait à une poupée de porcelaine. Mais une poupée maudite. Elle avait la même aura que ses parents. Un sentiment d'étrangeté troublant. Et c'était vrai, cette fille n'était pas à sa place ici. Je l'aurais mieux vue dans une forêt sombre entourée de loup et chantant du Évanescence qu'ici à commander un milk-shake. Son prénom me revint en mémoire, Adélaïde.
Un vieux prénom qui lui allait parfaitement. Elle sourit à la blonde et lui répondit d'une voix grave et voilée avec une pointe de sarcasme :
- Pauline, toujours aussi charmante. J'aime beaucoup ta nouvelle couleur. Blond cendré c'est ça ? Elle fit mine d'avancer sa main pâle vers les cheveux de la fille, mais celle-ci se recula brusquement en rougissant.
- Ne parles pas d'autre chose ! Vas-t'en.
Après un silence, Adélaïde se tourna vers le comptoir pour prendre sa boisson prête.
- Tiens. Je t'offre mon milk-shake. Vanille. Ton parfum préféré n'est-ce pas ? Ne sois plus fâchée.
Elle prit la main de la blonde pour lui donner le verre remplit, et profita de sa proximité pour  murmurer quelque chose à son oreille avant d'embrasser sa joue et de partir.
Pauline la regarda partir en devenant de plus en plus rouge. Je ne comprenais absolument pas ce qui venait de se passer. Lorsque la jeune fille revint vers nous avec le milk-shake qu'elle commença à boire distraitement, je lui demandait quel genre de relation elle entretenait avec ma nouvelle voisine.
Elle se troubla et en posant le verre sur la table tenta de s'expliquer.
Ce qu'elle fit très mal, enchaînant les justifications - Elle est hyper bizarre, c'est compliqué, on a eu des problèmes avec elle... - elle se triturait les doigts et ses yeux étaient fixés sur un point au loin. J'abrégeais ses souffrances en tentant de changer de sujet. Mais les trois autres gars ne parlaient plus que de cette fille. C'est vrai qu'elle était intrigante. Adélaïde.
Ils refirent le tableau de son arrivée jusqu'à son départ et tentèrent de deviner pourquoi elle était venue et ce qu'elle avait chuchoter à l'oreille de Pauline. Personne ne l'avait jamais vue ici auparavant. Les mecs se tournèrent vers moi pour me demander si je l'avais rencontrée la veille. J'avais juste vu ses parents.
Mais elle ne pouvait pas être venue pour me rencontrer. Elle ne m'avait pas regardé une seule fois. Elle n'avait regardé personne d'ailleurs mis à par Pauline.
La pauvre était toujours aussi rouge et tentait de changer de sujet dès que possible mais les mecs étaient bloqués sur la venue de ma voisine qui semblait être un véritable événement.

La sorcière de la plaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant