Être le méchant de l'histoire

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Pendant une minute, mon père et moi restâmes interloqués. Puis, sans un mot, Bastien fit demi-tour et regagna la maison alors que je continuais à fixer la bâtisse de nos voisins que la nuit tombante rendait de plus en plus inquiétante.
Qu'est ce que c'était que ces personnes ?
Ils n'étaient pas seulement malpolis. Ils étaient bizarres et effrayants. Je reculais pour avoir une vue d'ensemble de la maison, essayant de voir la vie à travers les fenêtres éclairées. Mais j'étais trop près. Ou pas assez...
Avec un soupir résigné, je rentrai à la maison. La maison...

Mon père ne fit aucun commentaire sur nos nouveaux voisins. Mais je savais qu'il ressassait cette rencontre. Il commanda deux pizzas et m'expliqua comment allait se passer la prochaine semaine. Bien évidemment, il fallait installer les meubles et le mieux était de commencer par les chambres. Pour cette nuit nous dormirions chacun dans un sac de couchage. Thomas, Margery et Antoine viendraient nous aider bien entendu et je pourrais faire connaissance avec ce gars du même âge que moi et qu'apparemment j'avais déjà rencontré. N'ayant rien de prévu de toute manière, j'acquiesçais à son monologue. Mettre les meubles en place, sortir les objets, livres, vêtements...
Tout ranger. Tout recommencer dans un petit village de campagne. Oublier Paris, oublier les problèmes et les « mauvaises fréquentations » selon mon père.
Oublier Jordan, Mathilde, Ahmed et David. Mes potes. Certaines choses sont plus simples à publier cependant. Aicha, mon ex. Une folle superficielle qui me prenait pour un personnage de roman. Ce que je n'étais pas.
Mais pour mes amis, pour elle, en réalité, c'était moi la mauvaise fréquentation. Et pourquoi changer ? Mon père se figurait que parce que j'étais dans un nouvel environnement j'allais être différent ? Si c'était ce qu'il imaginait, il se mettait le doigt dans l'œil. J'avais tout l'été pour rencontrer des campagnards de mon âge et les mener vers la mauvaise pente. Comme ça Bastien verrait bien que personne n'avait besoin de me tirer vers le bas, et que jamais il n'aurait du m'enlever Paris. Et si après ça il ne me rend pas à ma ville, c'est moi qui me rendrai à elle. Et sans lui évidemment. J'avais à présent hâte de faire la connaissance ce cet Antonin ou quelque soit son prénom. Il serait mon premier mouton.
La soirée passa assez vite. Les pizzas furent englouties tandis que mon père prévoyait en détails notre emménagement et que, de mon côté, je prévoyais de mettre ce village dans tout ces états. Je me voyais déjà comme le grand méchant de l'histoire. Un Lex Luthor, un Loki, un boss de fin de partie. Je m'amusais déjà follement.
Les voisins étaient oubliés, ou presque.
Mon père m'en reparla au moment où je montais me coucher.

« -Gab. Qu'as-tu pensé des voisins ? On n'en a pas vraiment parlé.
Ce que j'avais pensé d'eux ? Je n'aurai pas assez de la nuit pour débattre de mes pensées sur ce couple des enfers. Et je faisais toujours en sorte de parler le moins possible à mon père alors :
- Des gens bizarres.
- Oui... C'est ce que j'ai pensé aussi. Madame... Je n'ai pas retenu leur nom.
- C'est parce qu'ils ne l'ont pas dit. Mais je trouve d'Addams leur irait très bien. Morticia et Gomes Addams, ou plutôt : Joséphine et Ernest Addams, ironisai-je en imitant la voix haut perchée de la voisine.
La référence fit rire mon père. Il savait que lorsque j'étais enfant ces films étaient parmi préférés avec les films de Spielberg et Tarantino. Ouais je sais, pas très original.

Je montai dans ma chambre et m'installai sur le rebord de la fenêtre pour fixer la maison des voisins. Tout était éteint au rez-de-chaussée et à l'étage. Seule une lumière faible tremblotait dans la lucarne du toit. Une silhouette se dessina devant la fenêtre et il me sembla pendant un instant qu'elle se tournait vers moi. L'instant d'après. La lumière disparu et tout devint noir.

La sorcière de la plaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant