Ils sont dix. Louise, July, Emylou, Bianca et Svetlana, les filles, et puis Timéo, Ismaël, Kilian, William et Marcus, les garçons. Ils ont entre 16 et 21 ans. Ils vivent des existences tranquilles, sans rien de bien particulier pour la plupart.
Et...
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William baissa la tête, évitant le regard de Jane, sa petite copine. Celle-ci le regardait avec un air terrible, comme si elle voulait le transpercer. À nouveau, il s'excusa, piteux. Jane se calma, l'embrassa dans les cheveux, et reprit son café. William releva les yeux. Il était vrai qu'il avait regardé la fille du bar un peu fixement, mais il n'envisageait pas une seconde quoi que ce soit avec elle. Jane avait beau avoir un caractère difficile, c'était la personne qu'il aimait le plus au monde, et il n'imaginait pas la trahir. Jamais. Il prit son café, yeux dans les yeux avec Jane. Il se fit rêveur, comme souvent. Depuis l'enfance, William était pensif. Fils unique, il s'était d'abord inventé des frères et sœurs. Puis en grandissant, il avait cessé d'imaginer des gens. Il décidait à présent de l'avenir des autres, des vraies personnes qui l'entouraient. Selon son humeur, il les tuait ou leur donnait un avenir radieux. Il pensait aussi aux armes qu'il allait fabriquer pour sa chasse aux oiseaux : frondes, arbalètes miniatures, lancers de couteaux, tout y passait. William n'était pas cruel, mais il appréciait la chasse. C'était d'ailleurs la seule chose qu'il appréciait. Depuis sa plus tendre enfance.
Petit, son père l'emmenait souvent en forêt. Il adorait ça. Il jouait au trappeur, à cache-cache, au biologiste... Et puis, en grandissant, il s'arrêta de jouer, mais continua à venir. Et il s'était mis à la chasse. Il tuait rarement des animaux, parce qu'il n'était pas très adroit. Mais il continuait, inlassablement. Puis, il rentrait chez lui, se couchait dans le canapé, et ne faisait rien d'autre de la journée. À 16 ans, il avait rencontré Jane, à la piscine. Elle était sportive, énergique et vive, quand lui était mou et lent. Elle lui avait montré la vie autrement. Il s'était vaguement mis au sport, mais surtout à la natation, pour la revoir. Et un jour, elle était arrivé face à lui, l'avait arrêté, et embrassé à pleine bouche. Étonné, il lui avait rendu son baiser. Et depuis, ils ne se quittaient plus. William n'avait pas beaucoup changé. C'était un suiveur. Jane, elle, avait l'âme d'une dictatrice en puissance. Mais elle avait des côtés doux et tendres.
William était actuellement assis dans un café, « chez fredo », loin de son Angleterre natale. Il avait suivi Jane quand elle était venue en France pour ses études. Lui, il avait vaguement commencé une fac de technologie, mais il avait vite arrêté, parce que les cours l'ennuyaient. Depuis, il avait trouvé un job dans une grande surface, où il tenait une caisse. Cela lui convenait, parce qu'il n'avait pas besoin de réfléchir. Il n'aimait pas réfléchir. Lui, quand il y avait un problème, il fonçait droit devant lui, tête baissée. C'est ce qu'il avait toujours fait, et ce qu'il ferait sans doute toujours. Il avait utilisé cette technique à plusieurs reprises avec Jane. Quand elle l'accusait de le tromper, dans les premiers temps, il disait qu'il se fichait de son avis. Ils se séparaient un temps, et elle revenait, piteuse. Dans ces cas-là, il se sentait supérieur. Et puis, plus le temps passait, plus ils s'éloignaient lors des disputes, et plus elle lui manquait. Alors il se fit moins agressif, la laissant l'incendier, demandant pardon pour des fautes qu'il n'avait pas commises. Il faisait le chiot battu, baissant la tête, n'osant pas la regarder. Elle finissait par se calmer, et il était tranquille jusqu'à la prochaine fois...
Parfois, William avait des crises d'asthme très violentes. Il passait alors une journée ou deux à l'hôpital. Jane ne venait pas le voir à chaque fois. Elle était toujours très occupée. Mais quand elle venait, elle était aux petits soins pour lui, jouant à l'infirmière. Sa dernière crise avait été particulièrement forte, et il avait passé presque toute la semaine dans un lit d'hôpital, surveillé de près. Jane était venue tous les jours. Elle lui avait chanté des chansons, lui avait parlé de leur vie future. Ils avaient inventé des contes, qui finissaient systématiquement de façon ridicule. Et puis, le soir, seul dans son lit, William avait réalisé que sa vie était sans intérêt, qu'il était, au final, un garçon très banal. Il avait eu envie d'appeler sa copine, de lui demander pourquoi elle l'aimait. Il ne le fit pas, mais décida de le faire, plus tard. C'est la raison pour laquelle il lui avait donné rendez-vous ici, dans un café... Il hésita un instant, et se lança:
« Jane, ça fait trois ans qu'on est ensemble, et tu ne m'as jamais dit pourquoi tu m'aimes. Alors je te pose la question, là maintenant. Pourquoi m'aimes-tu ?
- William, voyons, tu le sais, non ?
- Non, sinon je ne te poserais pas la question.
- Et bien je t'aime parce que... »
La jeune fille s'arrêta brusquement. Elle ferma les yeux, comme si elle réfléchissait à la réponse. William fût surpris qu'elle ne la trouvât pas sur le champ. Jane rouvrit les yeux, sourit, prit une gorgée de café, et en le regardant droit dans les yeux, elle dit « Je t'aime pour ce que tu es ». Le garçon fût effroyablement déçu par cette réponse toute faite. Alors, comme par vengeance, il lui annonça :
« Moi, si je t'aime, c'est parce que tu es la partie manquante de mon être. Avant que tu ne sois dans ma vie, je ne le savais pas, mais il y avait comme un vide en moi ; je ne m'en rendais pas compte. Et puis il y a eu ce jour où tu m'as embrassé. Et là j'ai compris que tu avais toujours fait partie de moi, et moi de toi, sans qu'on le sache. Moi, si je t'aime, c'est parce que ce même jour, tu m'as envoûté. J'étais un mec banal, je n'aimais pas spécialement la vie, et tu es arrivée, comme une fleur de nénuphar dans une flaque vaseuse. Tu avais décidé de t'installer, c'est ce que tu as fait. Et tu as donné un sens à mon existence. Moi, si je t'aime, c'est parce que tu es tellement belle que ta vue suffit à parfaire la journée la plus mal commencée. Voilà pourquoi je t'aime, Jane »
William se tut. En voyant Jane se décomposer, il comprit qu'il venait de lâcher une bombe. Il se pencha par dessus la table pour l'embrasser, mais elle recula.
« Je t'ai blessée ? demanda-t-il.
- Non, bien sûr que non, mais je ne me sens pas digne d'un tel amour. Il faut que je t'avoue quelque chose, William. Voilà, je ne suis pas aussi bien que tu le penses. En fait, ça fait un an que je te trompe avec Virgil, mon ami de la fac. Je crois qu'il est temps que je te le dise, parce qu'à présent je me rends compte que tu ne me vois pas du tout comme il faut. Alors voilà, c'est décidé, je te demande pardon, mais je te quitte. »
Jane s'était levée. Elle embrassa William sur la joue, et elle partit du café. Il resta seul, en face de sa tasse de café tiède. Il avait l'impression qu'elle venait de le transpercer avec milles pieu en fer rougit. Il eut envie de hurler, de lui courir après, de pleurer. Il n'en fit rien. Il ne réalisait pas. Il fixait la porte du café, espérant qu'elle allait revenir en lui disant que c'était une blague. Cela ne se produisit pas. Il resta seul à sa table, dévoré par le chagrin. Un an, avait-elle dit. Un an qu'elle le trompait et qu'il n'avait jamais rien remarqué. Il ne pleura pas. Il aurait pu. Peut-être aurait-il dû. Mais ses yeux avaient séchés, semblait-il. Il n'avait plus de larmes à verser. Il avait eu confiance en elle, il avait quitté ses parents pour elle, et elle l'avait trompé. Et elle le quittait. Comment avait-il pu être assez naïf pour ne rien voir venir ? Il lui déclarait son amour, il lui disait pourquoi il l'aimait, et elle le quittait. William commanda une bière. Il eut envie de mourir, soudain. Il n'arrivait pas à décrocher son esprit et ses pensées de Jane. Malgré tout, il l'aimait encore. Elle lui brisait le cœur, le piétinait, l'écrasait, et il l'aimait encore. Il se cru fou un instant. Puis, posant la tête entre ses bras sur la table, il pleura.