Ismaël

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Ismaël portait son grand-père sur son dos

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Ismaël portait son grand-père sur son dos. Depuis des semaines qu'ils marchaient, l'état de ce dernier avait empiré. Parfois, souvent même, la nuit, Ismaël avait entendu le vieil homme gémir dans son sommeil. Alors, inlassablement, comme une mère avec son petit, il l'avait veillé. Il ne dormait presque plus. Chaque matin, il avait préparé une boisson énergisante pour son aïeul. Et puis les ingrédients avaient manqué. Il s'était retrouvé seul, dans un pays qu'il ne connaissait pas, à s'orienter comme il avait pu. Et finalement, au bout de quelques jours, le vieillard n'avait plus pu se lever. Alors Ismaël l'avait prit sur son dos. Pas une fois il ne s'était plaint. Il s'arrêtait quand le besoin s'en faisait sentir. Il se savait pressé. Il savait que son grand-père ne survivrait pas longtemps dans ces conditions. Alors il s'était approché d'un village. D'une petite ville, même.

À présent, il marchait vers l'hôpital. Les gens se retournaient sur son passage. On le regardait passer. On leur libérait la voie, à lui et à son vénérable fardeau. Ismaël ne faisait plus attention aux regards. Depuis tout petit, depuis qu'il vivait dans le clan de son grand-père, on le regardait bizarrement. Parfois méchamment, parfois avec douceur, parfois avec mépris. Petit, il avait souffert de l'absence d'amour dans les regards. Et puis, plus vieux, il avait découvert le vrai regard. Il avait rencontré Mama Francesca quand il avait eu 10 ans. C'était une petite dame ridée, menue. Et aveugle. Pendant un an, elle s'était chargé d'Ismaël, parce que son grand-père avait eu des problèmes. Elle faisait partie du clan, elle aussi. Mais elle sortait peu, et quand ils marchaient, elle restait sur la charrette de sa famille, sous la tente. Elle ne pesait presque rien, et cela ne dérangeait pas. Ainsi, avec elle, Ismaël avait vécu en aveugle. Pendant un an, il avait fermé ses yeux bleu ciel. Pas une fois il ne les avait ouverts. Il avait eu du mal au début. Il s'était cogné, avait trébuché. Il s'était blessé, perdu, éloigné du clan. Mais chaque fois, on l'avait retrouvé et ramené. À présent, même dans le noir le plus complet, même les yeux bandés, Ismaël savait avancé, savait agir comme en pleine lumière.

Il avait gardé un autre souvenir de cette année, plus visible : sur sa joue gauche s'étalait une longue estafilade. Il se l'était faite seul, au couteau. Il avait marqué sa peau d'un long trait partant du dessous de l'œil et descendant jusqu'aux commissures de la lèvre. Elle avait un sens, bien sûr. Mais il était le seul à le savoir. Personne ne connaissait la signification de cette plaie. Quand on l'avait retrouvé, évanoui, la joue en sang, on avait cru qu'il s'était battu avec un animal. Il n'avait pas nié. Il s'était tu, et avait gardé pour lui son secret. Même son grand-père l'ignorait. Parfois, dans une fontaine, Ismaël regardait son visage et redécouvrait la cicatrice. Il l'oubliait souvent, mais la voir le rassurait. Il aimait cette plaie. Elle n'était pas un mauvais souvenir. Elle ressemblait à la trainée d'une larme. Une larme que personne n'aurait vu couler et qui serait restée là, à vie, comme un rappel. Comme une promesse.

Ismaël arriva à l'hôpital en fin d'après-midi. Il se présenta à l'accueil.

« Pourquoi ne pas avoir appelé une ambulance ? l'interrogea son interlocutrice lorsqu'il eut décrit les symptômes. Nous serions venu le chercher chez vous ! »

The Game : Let's play for realWhere stories live. Discover now