Ils sont dix. Louise, July, Emylou, Bianca et Svetlana, les filles, et puis Timéo, Ismaël, Kilian, William et Marcus, les garçons. Ils ont entre 16 et 21 ans. Ils vivent des existences tranquilles, sans rien de bien particulier pour la plupart.
Et...
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« La voiture a fait un écart, et papa est tombé dans le fossé avec. Ils ont fait plusieurs culbutes, puis la voiture a pris feu. Première version. Une bête a surgi du bois, papa a freiné pour ne pas la tuer. Coup du lapin, puis le moteur a explosé. Deuxième version. Papa était saoul, il a continué tout droit au virage, s'est encastré dans un arbre, est mort sur le coup. La voiture a pris feu de manière inexplicable. Troisième version. »
July, assise face à son miroir, se faisait la conversation. Le sujet qu'elle évoquait, elle n'en parlait jamais. Sauf avec elle-même, face à une glace. Elle se remémorait les trois versions, l'une après l'autre. Elle n'en changeait jamais l'ordre, ni les mots. Elle ne faisait que répéter, répéter, répéter inlassablement ses phrases, qui la maintenaient en vie tout en la tuant à petit feu. Elles lui avaient montré à quel point les mots peuvent être forts, blessants. Meurtriers, parfois. Et en même temps, elles lui avaient insufflé une idée, petite graine plantée sous la terre. Et la graine avait germé, à son rythme. Un rythme rapide, brusque, violent. Elle était devenue une envie d'écrire. July avait commencé une histoire, elle l'avait laissée tomber. L'envie d'écrire était devenue plus forte. July avait écrit ses premières nouvelles. L'envie forte était devenue besoin. July avait commencé des études pour devenir écrivain. Le besoin était devenu feu ardent. July avait écrit un premier livre, qu'elle avait caché. Le feu ardent était devenu secret. Et le secret fut bien gardé. July venait de quitter son école, ce qui avait surpris tout le monde. Ses amies, ses professeurs... Tous s'étaient étonnés. Elle, si réfléchie, si calme, elle avait tout laissé tomber.
Dans sa chambre d'hôtel, July se remémora ses histoires, une à une. Dans chacune, il y avait un accident de voiture et un personnage mourrait, laissant derrière lui une femme, une compagne, une petite amie, et, parfois, des enfants. Dans certaines, un des personnage était battu à mort. Dans d'autre, il était battu chaque jour. La violence suintait dans chaque récit, dans chaque texte. July était incapable de l'empêcher de venir. Elle était une compagne de vie collante, accrochée, dont il était impossible de se débarrasser. Une triste compagne. Le genre de personne avec qui on a été amis, mais qui ne veut pas se détacher de vous au moment où tout vous éloigne. Quand on a besoin de changer d'air, de s'éloigner, de cacher certaines choses, cette personne est là, collante, comme une sangsue. La violence était la sangsue de July. Parce qu'elles avaient toujours vécu côte à côte. Enfant, July avait pris des gifles pour des broutilles, par ses frères, ou par ses parents. Alors, en grandissant, elle était devenue discrète, et on l'avait oubliée, petit à petit. Son père ne frappait pas. Jamais. Mais il avait été frappé. Par sa femme. La mère de July était une femme forte. Elle avait été sportive avant d'être obèse. Une force énorme émanait de chacun de ses gestes. Elle inspirait la peur. Et il y avait de quoi.
July se leva, marcha à pas lents dans la chambre. Voilà deux ans qu'elle dormait à peine. Chaque nuit, dans l'obscurité, elle revoyait la scène qu'elle avait vécue... Elle s'approcha du réveil, regarda l'heure. 22h58, heure française. Soit 6h00 à Sidney, là où elle avait vécu. Le pays qu'elle avait fui, illégalement. À nouveau, July s'assit devant sa glace. Elle recommença son monologue.