— Arrête de jouer avec ces cailloux, tu vas te faire mal ! avertit Cassia.
Maria Adonis lançait toutes les pierres qu'elle trouvait, malgré les interdictions répétées de sa mère. Plus l'adulte s'énervait, plus elle s'amusait, bien que ce divertissement cachât une attente profonde : elle comptait les heures depuis le départ de sa grande sœur, qui lui avait interdit de moucharder sa destination.
Maria patientait donc, spectatrice de l'agitation grandissante autour de son chantier. Jamais elle n'avait vu défiler tant de monde. Les cuisinières s'affairaient aux cuisines, les domestiques allaient et venaient à en perdre l'esprit, et les yeux de l'enfant se perdaient dans l'arc-en-ciel de couleurs qui déferlait devant elle. Il allait du rouge flamboyant des nappes qu'ils installaient sur les grandes tables à toutes les friandises, à tous les fruits colorés ou décorations dorées qui ornaient son coin de jeu.
Les heures passant, elle restait assise sagement à lancer des cailloux devant elle. Sans réfléchir à son geste, elle commença à former un petit tas. Les pierres à ses pieds se raréfièrent. Elle gratta la terre doucement pour en trouver de nouvelles à jeter, puis s'acharna et laissa noircir ses ongles.
À côté du tas de pierres se forma un tas de terre. Dans son avancée, Maria remarqua que le sol se rigidifiait. Sous elle apparaissait une pierre noire et poreuse, immense. Quand elle essaya de dégager son pourtour, elle se rendit compte qu'il n'y en avait pas. Dans son esprit d'enfant, un raisonnement comme ceux de sa grande sœur s'opéra. « Et si c'était un autre genre de caillou ? »
Maria entreprit de vérifier son hypothèse, déjà toute fière. Avide de découvertes, elle recommença à creuser. Au bout de quelques minutes, la seule nouveauté fut un mince filet de sang qui recouvrit ses mains crasseuses.
Quand elle arrêta enfin son chantier, elle effectua une rotation sur elle-même. La première chose qu'elle aperçût fut le visage de sa mère horrifiée. Cassia observa successivement les mains de sa fille et les dégâts laissés derrière elle. Si ses doigts ensanglantés – dû à ses exploits précédents – ne l'étonnèrent ni ne l'inquiétèrent, sa réaction ne se fit pas attendre pour le reste :
— Va dans ta chambre ! lui ordonna-t-elle. Tu n'en sortiras que lorsque ta sœur sera rentrée !
Désemparée, Cassia poussa un long soupir aigu, de la façon – songeait-elle – dont soupiraient les grandes dames. Le lien précieux qui liait une mère à ses enfants lui avait échappé par deux fois. À l'occasion, elle s'en attristait, bien qu'elle se consolât souvent avec l'idée que couronner reine l'une de ses deux filles rachèterait tout.
De son côté, Maria obéit à sa mère, tête basse. Elle commença à sentir le picotement de ses doigts qui saignaient, où était venu se glisser un ver de terre. De son point de vue, rien de plus amusant. La terre devenait chaude lorsque l'on creusait un peu profondément, aussi chaude que son sang. Elle aimait ce liquide bouillonnant qui s'écoulait entre ses doigts, tout comme ce petit ver qui glissait lentement sur sa peau en la chatouillant. Lorsque le lombric cessait de se tortiller, elle l'incitait à bouger à nouveau. La chaleur... Cela lui fit repenser à sa sœur. Un sujet qu'elle évitait, car l'on en revenait toujours à la température de sa peau.
Depuis sa naissance, elle équivalait celle de l'air ambiant, souvent froide comme la glace. Toutefois, Mythia s'y était accommodé, elle y voyait les avantages : une résistance au froid et à la chaleur. Aussi bien dans la neige que dans l'eau chaude, jamais elle ne s'était brûlée. Maria n'avait jamais osé lui demander si elle possédait cette sensation qui lui indiquait une différence de température, de peur de la froisser.
Ce jour-là, les Adonis se préparaient à la visite de l'héritier royal, Ilithio de Lasiar. « Que de fioritures pour un petit garçon de bientôt treize ans incapable de se rappeler mon nom. » Ce furent les mots exacts qu'utilisa l'aînée avant de s'enfuir. Mythia accordait une grande importance à son nom, puisqu'elle l'avait elle-même choisi dès qu'elle avait été en âge de parler. Après avoir lutté trois ans contre ce caprice, ses parents avaient fini par céder en comprenant qu'elle ne changerait pas d'avis. Mythia avait été l'objet de nombreuses moqueries pour cette histoire. Avant même d'être présentée à la bonne société de Noblia, elle s'était déjà bâtie la réputation d'une enfant surdouée imbue d'elle-même, ne souffrant qu'on s'adressât à elle qu'avec le nom qu'elle s'était choisi : celui d'un mythe vivant.

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La Mère des Cendres
Fantasy« Je t'aime, plus que le monde entier. » Lorsque sa sœur lui avait fait cet aveu, Hadès n'imaginait pas à quel point il serait douloureux pour lui. L'instant d'après, Mythia s'effondrait dans ses bras, le laissant à la merci d'un monde où toute vie...