Espoir

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— Hadès ? demanda Perséphone d'une voix très douce, loin de son habituel ton aigri. Hadès, réveille-toi. Tu rêves encore, grand bêta.

Le dieu ouvrit les yeux au milieu d'un champ de narcisses. Au-dessus de lui, au centre d'un magnifique ciel bleu, le soleil éclatant l'aveugla. « Ça ne peut être qu'un rêve », supposa-t-il. Devant lui, Perséphone lui souriait, encore jeune adolescente. Ses longs cheveux blonds détachés étincelaient en plein jour ; sa poitrine commençait à peine à pointer le bout de son nez sous sa stola. Ses joues rougissaient, troublée à l'idée de se retrouver seule avec lui. Du peu qu'il se souvenait, Hadès jugea qu'à ce moment-là, elle n'avait pas plus de treize ans. Treize ans seulement. Encore une enfant, et lui, si vieux. L'idée qu'elle ignorait tout de la vie l'avait désespérément attiré, mais à quel prix ? Qu'avait-il fait de cette pauvre innocence après l'avoir arrachée ?

— Tu t'es encore endormi, quel paresseux, lui reprocha Perséphone. Je ne te vois pas souvent, et quand je te vois, tu dors.

— Où sommes-nous ? demanda-t-il.

— Quelle question, répondit Perséphone. Près de chez moi, bien sûr. J'ai échappé à la surveillance de maman pour la énième fois. J'ignore pourquoi, elle n'a jamais été très futée. Mais c'est mieux pour nous deux. Je peux venir te voir dès que tu me fais signe.

Hadès n'en revint pas. Tout était exactement comme dans ses souvenirs.

— Où est Lasiar ? demanda-t-il.

— C'est quoi, ça, Lasiar ? Bienvenue dans le monde réel, grand rêveur !

À la vue de son jeune visage inquiet, Hadès sourit. Il n'en revenait pas de revivre cette époque. Non loin de là, un ruisseau s'écoulait tranquillement. Il se souvint y avoir régulièrement fait rire la jeune fille en l'éclaboussant. Ce lieu ne lui rappelait que de bons moments, tout souci s'écartait soudain.

— Perséphone, murmura-t-il.

— Pourquoi tu parles aussi bas ? demanda-t-elle de sa voix cristalline.

— Je t'aime, avoua-t-il.

Ce jour-là, il ne l'avait pas pensé, mais maintenant... Que n'eût-il pas fait pour remonter le temps et vivre pleinement chaque instant avec elle ? Pour faire les choses comme il fallait ? Perséphone s'éloigna de lui, terrifiée par son aveu. Le dieu observa valser les pans de sa stola, émerveillé. Par son mouvement, la jeune fille découvrait ses jambes ivoirines.

— Tu n'as pas le droit de dire ça ! l'accusa-t-elle.

— Pourquoi ?

— Tu es vieux, tu es moche et tu vis sous terre. Et... Et tu es mon oncle, ajouta-t-elle.

Le roi des morts sourit. Il se souvenait de chaque détail.

— Tu as raison, approuva-t-il. Une enfant ne devrait pas entendre de telles choses.

Blessée dans son orgueil, Perséphone riposta.

— Je suis une femme !

— Ah bon ? répliqua Hadès, amusé.

La jeune déesse tapa du pied sur le sol.

— Tu es insupportable, renchérit-elle.

— Une femme ne gémit pas comme une enfant, ajouta-t-il.

L'air de rien, Hadès cueillit un narcisse et le fit tourner entre ses doigts. Sans y prendre garde, il tomba à la renverse, plaqué au sol. Perséphone se tenait à califourchon au-dessus de lui, morte de peur. Tremblante, elle l'embrassa. À son contact, Hadès ferma les yeux. Il n'imaginait plus une adolescente, mais une femme aux cheveux sombres et au regard perçant.

La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant