La parole des dieux

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Deux ans et quelques mois plus tard, an 1090 de la cité de Lasiar, 1610 av. J.-C.

Le ciel était bleu, la mer était calme. Assise au bord de la falaise au bout du passage qu'elle avait découvert il y a plus de huit ans, Mythia observait l'horizon, infini. Déjà deux ans passés à attendre la mort. Depuis son aventure dans la forêt, elle avait cessé de lutter. Son infection l'obligeait à limiter ses déplacements, son cœur s'était déjà arrêté trois fois au cours du dernier mois. Elle redoutait de ne plus se montrer capable de le cacher encore très longtemps. Chaque nouveau jour était un véritable don, chaque nouvelle nuit une bénédiction. Trouver le sommeil devenait de plus en plus dur. Peur de ne jamais se réveiller, peur de ne pas assez profiter de chaque dernier instant.

Quelque part sur l'eau, elle aperçut un bâton de bois, concret, petit, si précieux. C'est qu'il venait de loin, et qu'à Lasiar rien n'arrivait de loin. Le vent l'avait poussé là, tel un présent. « Le futur est changeant », pensa-t-elle. Hier encore, Maria ne lui adressait plus la parole, et voilà qu'elle s'apprêtait à rencontrer son étranger, ce dieu dont elle refusait de lui dire le nom.

Aucun signe de vie à l'horizon. Un dieu, ce devait être capricieux, il ne venait jamais quand on le lui demandait, toujours lorsqu'on ne l'attendait pas. Soudain, elle sentit l'empreinte d'une main qui se posait sur son épaule. Elle se retourna, mais ne put apercevoir derrière elle que les roches noires et pointues parsemées de trous. Un frisson glacial la parcourut, lorsqu'elle reconnut le cri de protestation d'un homme.

— Toujours rien ! pesta-t-il. Pas une seule proie en plusieurs heures, cet endroit doit être maudit.

Mythia se releva et aperçut un pêcheur qui tirait avec force sur sa ligne. À côté de lui se tenait un panier vide, ainsi que quelques appâts éparpillés çà et là. Un chapeau évasé à l'allure étrange cachait les cheveux grisonnants du quadragénaire. Ce pêcheur possédait un profil familier, avec son nez pointu, son regard malicieux et sa barbe de trois jours.

— Papa ? hésita Mythia.

Deux ans qu'elle n'avait plus pensé à lui. Bah, à quoi bon ? Il n'aurait pas raté grand-chose. Bien que rebutants pour certains, les Enfers ouvraient de plus intéressantes perspectives de découverte. L'étranger se retourna. Sans surprise, Mythia s'était trompée. Il ne lui resta plus à l'esprit qu'une vieille image qui s'effaçait. Sans trop savoir quoi en penser, elle constata qu'elle avait très vite oublié son père. Le pêcheur l'observa des pieds à la tête.

— Tu dois me confondre.

La jeune femme soupira.

— Pardonne-moi. Ça ne m'est jamais arrivé avant aujourd'hui.

Il souriait.

— Ne t'inquiète pas, j'ai l'habitude.

Il lança à nouveau sa canne à pêche.

— Allez, raconte-moi un peu ce que tu fais ici.

Il était trop à l'aise.

— Rien d'autre ne me remontera le moral, expliqua-t-il. J'ai passé une très mauvaise journée.

Elle s'assit et sa langue se délia d'elle-même. Dans le pire des cas, il la prendrait pour une folle, garder le secret n'avait pas d'importance.

— Je suis venue rencontrer un dieu. Autrement, je ne serais pas là, je garde un très mauvais souvenir de cet endroit.

— Pour sûr, comprit-il. Pas facile de réaliser qu'on va mourir, surtout dans un coin pareil.

« Comment peut-il être au courant ? Serait-ce...? » pensa-t-elle.

La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant