Une affaire de famille

724 125 40
                                    

Aujourd'hui, papa est mort. Ou peut-être hier, je ne sais plus. On m'a dit que c'était à cause de la maladie, qu'il était fréquent que les gens meurent à cet âge, qu'ils sont plus faibles en vieillissant. D'autres m'ont affirmé qu'il s'en est allé lorsque son fil de vie a été coupé, emmené par Thanatos aux Enfers. Je crois plutôt qu'il n'avait plus rien à faire ici parce que plus personne n'avait besoin de lui, et certainement pas moi.

J'ai bien essayé de l'expliquer à Maria. Pour une fois, elle n'a pas voulu m'entendre et est partie en riant. Avec elle, je ne m'étonne plus de rien. Maman, quant à elle, a pleuré. Je ne l'ai pas fait, j'ignorais pourquoi il le fallait, tout comme j'ignorais comment Maria en riait.

Mythia leva sa plume du papier, qui commençait à s'imbiber d'une grande tache d'encre. Elle le déposa au-dessus des autres entre deux planches, là où se trouvaient tous ses écrits. Elle les remit soigneusement au fond de la vieille armoire de sa chambre. Son regard se perdit. La maison lui parut vide et il faisait beau. Pourquoi faisait-il beau ? La pluie, c'était reposant, ça vous calmait et vous berçait lentement. Le soleil, ça brûlait, ça vous frappait la tête et accentuait la migraine et la fatigue naissantes.

Mythia se rendit dans la cour pieds nus, sa canne à la main. Un des rares beaux endroits lorsqu'il faisait chaud, le bassin semblait enchanté. Les oiseaux se posaient dans les arbustes, petits miracles qui grandirent malgré la faible épaisseur de terre. Il lui sembla qu'elle avait déjà connu ce paysage un millier de fois. Maria était assise sereine sur un banc, occupée par une lecture sans intérêt : Manuel à l'usage de la bonne épouse. À n'en pas douter, leur mère Cassia le lui avait conseillé. Maria relevait sans arrêt la tête, prenant de courtes pauses dans son calvaire.

Âgée d'à peine treize ans, sa beauté grandissait à vue d'œil. À la vue de son corps élancé et de son noble visage allongé, le regard porté par ses longs cils, l'envie dévora Mythia. Au contraire de sa sœur, elle se flétrissait chaque jour qui passait, monstre difforme et malin dont personne n'approcherait, quand bien même elle était un des meilleurs partis de la ville.

L'aînée s'avança vers la cadette de son pas boiteux avant de lui arracher le manuscrit des mains.

— Je sais que tu te moques de ces règles imbéciles, lui reprocha Mythia. Maintenant, écoute-moi.

— J'ai fait quelque chose qui ne fallait pas ? l'interrogea Maria de son étrange sourire.

— Réveille-toi ! Tout ce que tu ferais d'un mari, c'est l'empoisonner.

— Tu doutes que j'en sois capable ? ricana-t-elle.

Mythia soupira, épuisée.

— Non, justement. Tu dois te sortir ces idées de la tête.

— Je ne peux pas, s'en attrista-t-elle. J'ai suivi tous tes conseils, tout ce que tu m'as dit, mais je n'arrive pas à ne pas y penser. La seule chose qui me rend heureuse, c'est la souffrance des autres. Qu'est-ce que je peux faire d'autre ? En parler à maman ?

— Tu ne peux pas avoir confiance en elle.

— Mais elle sait bien...

— Assez peu de choses pour réussir à croire encore que tu ne projettes pas de t'en prendre à un homme. Et crois-moi, mieux vaut que ça reste comme ça.

Mythia se prit la tête entre les mains. Elle avait épuisé toutes les pistes possibles, sa dernière carte se jouait maintenant.

— Je veux que tu..., hésita-t-elle. Je veux que tu trouves quelqu'un qui te ressemble.

La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant