Le poids des responsabilités

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Dû au couvre-feu, les rues dormaient, désertes à la nuit tombée. Les guerriers de l'ombre ne pouvaient agir que pendant ces quelques heures d'obscurité, que combattaient les torches flamboyantes le long des grands axes. Selon une croyance commune, les flammes protégeaient des mauvais esprits et aidaient les âmes à trouver leur chemin vers les Enfers. Artan en riait souvent. Le jour de sa mort, les feux n'étaient parvenus qu'à lui faire peur, à l'inverse de Firaï qui appréciait toujours leur présence.

Lorsque les guerriers franchirent la porte de Noblia, ils s'octroyèrent un moment de répit. Aucun ne l'avouait, mais ils contemplaient un rêve inaccessible. Le quartier surprenait par le luxe qu'il s'octroyait de conserver de grandes allées. Malgré leur surface plus importante, les étages inférieurs possédaient peu de place libre, sinon ceux réservés au commerce près de l'Ascension des rois. Les rues étroites des bas quartiers, bien que souvent désorganisées, optimisaient l'espace. Les Nobliens, eux, affichaient avec fierté le privilège de s'offrir du terrain.

Le groupe s'avança prudemment vers un carrefour circulaire à leur droite, bordé de plantes parfumées. Une intuition indiqua à Firaï la présence de Cronos. Les flammes s'emparèrent de son corps, elle se prépara à attaquer au moindre mouvement.

— Vous le voyez ? demanda-t-elle.

— Il est parti à droite, répondit Thalia, qui scrutait avec attention les alentours.

— Personne ne surveille ce niveau de jour, rappela Théo. Nous connaissons mal ses habitudes ici.

Le jour leur servait de couverture. Ils repéraient les déplacements de l'ennemi à travers la foule en se camouflant comme des citoyens. Firaï, elle, avait trouvé un poste de marchande de fruits et légumes, auprès d'un agriculteur nommé Néarque. Un brave homme, Néarque, paresseux et drôle à la fois. Les observations ne furent jamais fructueuses. Firaï ne se fiait qu'à son instinct, à défaut de pouvoir utiliser sa vue pour repérer le titan. Avec le temps, elle avait appris à déceler sa présence grâce à certains stratagèmes. Là où elle se trouvait, l'ombre tuait le vent et refroidissait l'air.

— Elle n'arrête pas de bouger ! pesta Firaï.

— Faut faire avec, répliqua Artan comme si ç'avait toujours été une évidence.

— De notre mieux, je puis vous l'assurer, nous réduisons notre vaste et immense champ de recherche, précisa Céleste.

Hadès ne pouvait pas espérer qu'ils gagnent. Il restait trois chambres vides dans leur palais de l'Érèbe, trois postes à pourvoir, sans candidat. Plusieurs fois, la jeune demi-déesse avait supplié son roi de combler ce manque. Le mystérieux souverain des Enfers ne cessait de répéter que chaque chose viendrait en son temps. Foutaises !

— Où est-il ? rugit Firaï.

Théo, Thalia et les trois acolytes se regardèrent tour à tour, puis coururent. Firaï les rattrapa aussitôt, surprise, mais alerte. À plusieurs reprises, ils bifurquèrent à travers les rues damées. Leur course s'accéléra. Bientôt, tout le groupe parvint à l'entrée de la demeure d'un parfumeur, repérable à ses senteurs dont le nombre démesuré brouillait l'odorat. Vers la droite se trouvait une impasse aménagée en débarras, plongée dans le noir.

— On l'a presque ! signala Vitalis.

Les cinq guerriers s'immobilisèrent en cercle autour de leur objectif. Suffisamment proches, les diamants de leur tunique s'illuminèrent et atteignirent leur cible. L'ombre de Cronos poussa un cri strident et se vautra au sol. Jamais les guerriers ne l'avaient aperçu d'aussi près. Forme humaine, entièrement noire et légèrement transparente. Impossible de distinguer la peau des vêtements, si tant est que la chose en portât. Les traits et reliefs du visage absents le privaient d'identité.

La Mère des CendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant