Du sang s'écoulait sur le sol, poisseux. Le liquide visqueux ramassait la poussière, les morceaux de chair décomposés et les bouts de gras dont personne ne voulait. Par moments, seule la pluie nettoyait le parterre de ses impuretés. Les haches et les couteaux tranchaient, brusquant les passants en s'abattant brutalement pour briser des membres écorchés. Les viandes manipulées par les bouchers claquaient. Moutons, bœufs, chèvres, cochons. Têtes coupées, os rongés, craqués, peau arrachée, dépecée, jetée dans un coin avant d'être transportée au quartier de Tessi. Les mains sales, tachées, mélangeaient les détritus et les produits frais, plus si frais, vendus aux clients. Ça puait, ça schlinguait, entre les bouts fermentés, les mouches, le sang, fallait que ça parte. Les bouts morts ne restaient pas morts bien longtemps. La chair qu'on ne surveillait pas finissait par s'en aller toute seule, sur ses mille et une nouvelles pattes blanches et moelleuses.
Rien ne trouvait son sens, tout se présentait fouillis. Les boutiques poisseuses, les déchets, les clients, les Ratiasains qui ramassaient la chair pourrie. Les chasseurs et les éleveurs arrivaient, vendaient leurs bestiaux mal lavés aux regards vitreux, aux langues pendantes, et repartaient en chercher d'autres.
Cela allait de soi. Si Vitalis marchait dans le quartier d'Artémis, il ne le faisait pas par plaisir. La nécessité, toujours. Le jeune soldat d'à peine vingt ans paraissait blanc comme un linge, comme ces bourgeois qui faisaient un malaise en découvrant le coin. Sa couleur de peau contrastait avec ses yeux et ses cheveux sombres, si gras qu'on en retirerait bien un de ces élixirs d'étrange magicien. Bien bâti, Vitalis effrayait ceux qui l'entouraient par son faciès peu avantageux, si sa tenue de garde de la ville ne suffisait pas à cela. Pourtant, elle n'avait rien de menaçant au premier coup d'œil. Un simple veston de cuir accompagnait son pagne bleu égyptien. À sa ceinture, il portait un vieux glaive ainsi qu'une matraque en bois. Le bon matériel coûtait cher. Pas d'ennemi en vue, pas de guerre à mener. Lasiar n'avait pas pu connaître de guerre avec l'extérieur depuis sa création, coupée du reste du monde. La seule fonction du garde restait de gérer les quelques délits et escarmouches qui survenaient çà et là dans la cité. En somme, pas besoin d'être bien équipé.
Parmi tous les bouchers d'Artémis, Vitalis avait sa préférence : un jeune homme du même âge et de la même pâleur que lui, à moitié chauve et pas très diplomate avec les étrangers. Artan compensait très bien ses défauts par la maîtrise de son métier.
— Hé ! Vitalis ! l'interpella-t-il de sa voix rauque. Qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu t'es perdu ?
Vitalis sourit en se dirigeant vers sa petite boutique, repoussante et bancale de prime abord, mais qui gagnait en charme dès lors qu'on la découvrait mieux. Certains détails ingénieux attiraient alors l'œil du client, tel que le rangement par taille des chairs mortes et la collection impressionnante des couteaux et scies à os suspendus aux murs.
— Alors, vieux frère ! s'enquit Artan. T'étais pas censé jouer les professeurs d'arme avec l'imposteur ?
Vitalis dégaina son glaive et le menaça. Quelques passants les observèrent intrigués. Cette attitude devenait dangereuse autant pour Artan que pour tous les autres.
— Je te déconseille de traiter une fois de plus le roi Samaël d'imposteur.
Artan aussi se fit sévère. Sa méfiance se dirigeait toujours inutilement vers l'uniforme que portait Vitalis et sa proximité avec le souverain. Il le plaçait à tort dans la position du traître qui fraternisait avec l'ennemi.
— Et moi, souligna Artan, je te conseille de te rappeler que notre roi à nous ne se trouve pas dans cette ville. Je ne me placerai jamais sous l'autorité de cette chose avec une moitié d'âme.

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La Mère des Cendres
Fantasía« Je t'aime, plus que le monde entier. » Lorsque sa sœur lui avait fait cet aveu, Hadès n'imaginait pas à quel point il serait douloureux pour lui. L'instant d'après, Mythia s'effondrait dans ses bras, le laissant à la merci d'un monde où toute vie...