Neuf ans plus tard, hiver de l'an 1081 de la cité de Lasiar, 1619 av. J.-C.
Perchée en haut du mur du quartier de Brasero, invisible aux hommes selon son souhait, Althæa humait avec appétence sa coupe remplie de vin, dont elle s'était servi à Aqualis. Fière, elle scrutait l'agitation humaine loin sous elle et l'épaisse couche de fumée. Depuis neuf ans, la Mère des Cendres grandissait à vue d'œil, chaque pièce se mettait en place comme il fallait. Tandis qu'Althæa portait son breuvage à ses lèvres, son serviteur ne put s'empêcher d'intervenir.
— Que faites-vous assise ici ? l'interrogea Telos. Je dois vous signaler que c'est une perte de temps. Il n'y a rien à voir.
Althæa avait rencontré Telos le jour où le monde s'était créé. Sans corps, il n'était qu'une voix, entité plus vieille que l'univers qui lui avait gracieusement offert ses services. Malgré les nombreuses questions qu'Althæa lui avait posées, il n'en avait jamais dévoilé plus à son sujet. Personne d'autre qu'elle n'était au courant de son existence.
À sa dernière réplique, Althæa tiqua.
— Quelle naïveté, cher ami. Si tu te transformais en objet, tu serais une encyclopédie. Tu détiens tellement d'informations que tu en oublies ce que tu sais. Tu ne réalises pas l'importance de quoi que ce soit. Ma force à moi est dans mon ignorance. Vois-tu, je suis la lectrice qui donne sa valeur à ce petit paragraphe perdu dans la masse. Et je peux t'assurer que ce qui se passera ici est important.
— Du marchandage ?
— Non.
— La promenade du roi et de son fils ?
— Non.
— Leur rencontre avec Théo le forgeron ?
— Tu n'y es toujours pas.
— Dans ce cas, je m'incline devant votre ignorance.
La petite fille agita son vin dans sa coupe, fascinée par les vagues gigantesques qu'elle créait dans cet univers insignifiant.
— Un petit détail, s'émerveilla Althæa, qui échappe au premier regard, si important. Je dois veiller à ce que tout se passe comme prévu.
— Et je vous y aide du mieux que je peux.
— Sans comprendre, souligna la vieille enfant. Ta profonde indifférence du monde ne te mènera nulle part, cher Telos.
— Je ne suis pas indifférent à l'art que vous avez d'entendre les importants détails de ces longs textes que j'ai en tête.
— Seul domaine dans lequel tu m'es inférieur, remarqua-t-elle amusée. Tu cherches à combler ton unique lacune.
— Dans ce cas, je m'incline...
— Par pitié ! le reprit-elle. Sois plus inventif dans tes phrases. C'en devient horriblement redondant.
— Je prends bonne note.
Althæa se régala d'une gorgée de vin, satisfaite, avant de créer un vent chaud en plein air hivernal. Méticuleuse, elle le dirigea vers le fils du souverain de la ville, au front duquel perlèrent de grosses gouttes de sueur. Elle se délecta d'avance de la scène qui suivrait.
***
— Ça coûte combien, ça ? demanda le prince de Lasiar.
Le jeune garçon de douze ans désignait une petite hélice qui ventilait par son mouvement de rotation, posée sur un grand étalage aux côtés de toutes sortes d'objets. Broches pour attacher cheveux et vêtements, bracelets, boucles d'oreille, colliers sertis de diamants et parfois même de kirtas. Aucun outil ou bibelot indispensable, telle paraissait la règle. Les accessoires sortaient des fourneaux et trouvaient une place aléatoire sur l'étalage. Les plus anciens se devinaient facilement, tous revêtus d'une épaisse couche de poussière.

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La Mère des Cendres
Fantasy« Je t'aime, plus que le monde entier. » Lorsque sa sœur lui avait fait cet aveu, Hadès n'imaginait pas à quel point il serait douloureux pour lui. L'instant d'après, Mythia s'effondrait dans ses bras, le laissant à la merci d'un monde où toute vie...