Paradis 「𝒌𝒍𝒂𝒏𝒄𝒆」

2. Première impression

Lance n'avait pas eu l'intention de jeter l'extincteur par la fenêtre. C'était arrivé, c'est tout. Il l'avait dans les mains, et puis l'instant d'après, il le regardait s'écraser sur le sol en béton du lycée. Quand on y réfléchissait, est-ce que c'était bien la peine d'en faire tout un cirque ? C'était simplement une petite erreur d'inattention (et un mauvais discernement des poids, mais comment Lance aurait-il pu savoir qu'un extincteur pesait si lourd ?). En tout cas, pas de quoi le convoquer dans le bureau du directeur comme si c'était la faute la plus grave de toute l'histoire de la Garnison. Et puis, de toute manière, connaître le coupable ne servait plus à rien : c'était trop tard pour empêcher les élèves de se lancer dans une bataille de mousse géante, à en juger par le spectacle visible par la fenêtre. Alors il pouvait s'en aller, non ?

Visiblement, le proviseur n'était pas de cet avis. Sourcils froncés, mâchoire serré, il regardait Lance comme s'il espérait réussir à le désintégrer avec ses yeux. Le jeune homme déglutit, peu à l'aise. Au moins deux minutes s'étaient écoulées depuis son arrivée, traîné de force par la CPE furieuse, et Mr Iverson n'avait toujours pas prononcé un mot. Lance n'osait pas regarder ailleurs que droit devant lui, pourtant, il aurait préféré contempler ses amis dans la cour. Après tout, c'était quand même grâce à lui qu'ils pouvaient s'amuser autant. Il méritait mieux qu'être assis là, tel un condamné à la potence, la corde au cou, attendant que la trappe s'ouvre.

-Lance McClain.

Malgré lui, il sursauta. Ça y est, la trappe s'était ouverte. Et ce qu'il y avait à l'intérieur n'annonçait apparement rien de bon.

-Ou-oui, Monsieur Iverson ?

Le proviseur poussa un soupir, comme si être ici pour punir un élève était une épreuve particulièrement difficile, alors même que tout son corps annonçait tu-vas-mourir-dans-d'atroces-souffrances-et-je-vais-prendre-du-plaisir-à-te-faire-subir-lesdites-souffrances aussi clairement que s'il avait porté ces mots imprimés sur le front. Lance pouvait pratiquement voir des cornes de diable clignoter au dessus de ses ignobles cheveux gras et noirs.

-McClain, vous êtes un de nos meilleurs éléments ici à la Garnison, commença l'homme d'une voix doucereuse, trop calme pour ne pas couver une tempête. Vous êtes motivé, impliqué, non dénué d'un certain talent pour des activités comme le tir à l'arc...

Lance attendait le "mais" qui ne manquerait pas de venir gâcher le tableau. Jusque là, s'il n'avait pas été responsable d'un tel capharnaüm dans le lycée, il aurait presque pu se sentir flatté. Presque.

-Mais ...

Le directeur se leva, étendant son long corps comme une ombre menaçante, dominant désormais Lance d'une bonne vingtaine de centimètres. Il se rapprocha, de plus en plus près, jusqu'à ce que ses petits yeux porcins rencontrent ceux, bleu éclatant, du jeune homme.

-VOTRE COMPORTEMENT EST INACCEPTABLE !

Les décibels de sa soudaine hausse de ton vrillèrent le cerveau de Lance et il recula instinctivement.

-Vous êtes le plus irresponsable et le plus tête brûlée de nos étudiants ! Et je dirige un centre pour les enfants à problèmes comme vous, alors j'en ai rencontré, des têtes brûlées !

D'un geste rageur, le directeur ouvrit un de ses tiroirs et farfouilla à l'intérieur. Il en sortit plusieurs photos de classe, qui d'après leur aspect dataient au moins des années 80. Il pointa l'un des étudiants sur la première photo, qui portait des cheveux bruns bouclés.

-Sammy Valdez ! Un sacré individu, celui-là ! Et pourtant, je ne l'ai jamais vu inonder les toilettes des professeurs ! Et lui, Keith Kogane ! Il n'en faisait qu'à sa tête, mais il n'a jamais pris la liberté de dérober un des scooters de l'école pour aller voir sa petite amie, en séchant les cours par la même occasion !