7. Les débuts au Paradis

1.1K 118 47
                                    

Il n'écoutait jamais.

Quel était l'intérêt d'avoir un ange gardien, si on ne l'écoutait pas ? C'est ce que Keith se répétait en boucle depuis la veille, depuis le moment où Lance lui avait clairement fait comprendre qu'il n'avait pas besoin de lui.

Super. Encore un endroit où il était inutile. Encore un endroit où il allait continuer d'errer en vain, en espérant trouver un sens à son existence. Il avait espéré que Lance pourrait être celui qui le sortirait de cette routine, mais apparement, il s'était encore une fois fourvoyé. De toute façon, c'était à ça que se résumait sa vie maintenant. Dormir, se réveiller, attendre que la journée passe, et recommencer. Il n'y avait pas de lumière, pas d'espérance au bout du chemin. Tout ce qui l'attendait, tout ce qu'il allait avoir, ce serait le vide. Et parfois, dans ses plus noires périodes, il se disait que peut-être, il méritait tout ça. Il n'avait toujours aucun souvenir de sa vie mortelle, pas même de brefs flashs, juste une impression de malaise si forte qu'il en avait envie de vomir, et une culpabilité écrasante, comme si il était sûr que sa seule existence était la cause de ses malheurs. Il avait tenté plusieurs fois de forcer sa mémoire, mais il s'était senti tellement mal qu'il avait préféré arrêter. Après tout, ça valait peut-être mieux ainsi. Le peu de réminiscences qu'il lui était resté de son existence humaine, elles lui avaient valu de se retrouver ici. Il ne comprenait toujours pas pourquoi il n'avait pas échoué directement en Enfer à sa mort. Il en était venu à penser que ça devait être moins pire qu'être là.

Il avait beau avoir passé pas mal de temps au paradis, il n'en connaissait toujours pas le fonctionnement. Il s'était réveillé un jour, étendu sur le sol, vêtu du même jean troué et du même tee-shirt qu'il portait actuellement. Il n'y avait pas besoin d'en changer ; il ne transpirait pas, ne se salissait pas, tout comme il ne ressentait pas la fin ou la soif. C'est comme si son corps avait été figé dans l'état où il était à sa mort. Quelque fois, il se demandait si ça en aurait été autrement s'il était décédé affamé. Aurait-il eu faim éternellement, et incapable de se rassasier ? Cette perspective paraissait presque plus effrayante que sa condition actuelle.

Quand il s'était levé, il avait d'abord repéré les ailes. Le tiraillement dans son dos, la sensation qu'on lui avait ajouté quelque chose auquel son corps n'était pas habitué. Enfin, son "corps". Il supposait bien que celui qu'il habitait en ce moment n'était pas son enveloppe charnelle originelle. Il avait dû être enterré ou incinéré, quelque que soit l'endroit sur Terre où il avait vécu, et la mémoire de son corps avait dû être recréé grâce à son âme, puisque c'était elle qui faisait de lui ce qu'il était dans cette nouvelle vie. Il se souvenait que c'était étrange de sentir ces nouveaux muscles partir de son dos, et s'étendre autour de lui. Il avait tenté de les actionner. Ça s'était fait naturellement, comme de lever un bras ou de froncer les sourcils. Il s'était élevé dans les airs, avait tournoyé. Il se souvenait des étendue de ciel à perte de vue, les courants ascendants, descendants. Il se souvenait qu'il n'avait jamais été aussi heureux de toute sa vie. Quand il était revenu sur la terre ferme, il s'était dit que c'était le rêve le plus réaliste qui lui avait jamais été donné de faire.

Puis la ville était apparu comme par magie. Il aurait pu jurer qu'il se trouvait au milieu d'un désert, et la seconde d'après, il se trouvait au milieu d'un dédale de maisons et de boutiques, entouré de gens qui ne lui prêtaient pas la moindre attention. Ses ailes étaient toujours là, bien présentes entre ses côtes. Mais il s'en désintéressa vite pour scruter son environnement. C'était la ville la plus bizarre qu'il ai jamais vu, complètement mélangée. Comme si on avait pris les habitations typiques de chaque pays pour les disperser au hasard des rues. Immeubles victoriens côtoyaient des cottages anglais, et des temples japonais se retrouvaient face à des yourtes mongoliennes. C'était vraiment étrange à voir, un jardin qui prenait soudain le pas sur le béton. Enfin, le béton, c'était quand il n'y avait pas de sable ou de terre. À chacun de ses pas, il semblait qu'il marchait sur un sol différent. On aurait dit une exhibition de textures et de coloris, comme dans un magasin de décoration. Keith ne savait plus où poser le regard. Il n'avait jamais fait un rêve aussi détaillé et aussi imaginatif. Il ne se rappelait pas, mais il lui semblait que d'ordinaire, il était plutôt habitué aux cauchemars. Ici, tout semblait complètement fou et dépareillé. Un fiacre manqua de le projeter contre une Lamborghini jaune pétant, et peu de temps après il se retrouvait à éviter une cavalcade de chevaux.

Paradis 「𝒌𝒍𝒂𝒏𝒄𝒆」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant