4. Apparition nocturne

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Finalement, le club théâtre n'était peut-être pas une si bonne idée que ça.

Toujours mieux que l'expulsion, c'était un fait. Mais Lance commençait à se dire qu'il s'était réjoui un peu trop vite en acceptant la demande du principal. Sur le coup, du moment qu'il pouvait éviter d'être renvoyé, il aurait accepté n'importe quelle proposition. Mais maintenant qu'il était à la porte de la salle de théâtre de l'école, il commençait à reconsidérer ses options.

De l'extérieur, le bâtiment ne payait pas de mine. Reculé dans un coin du lycée fréquenté seulement par le personnel d'entretien, il était de forme rectangulaire, tout aplati et d'une hauteur d'environ vingt mètres. Pour y accéder, le jeune homme avait dû demander trois fois son chemin à des professeurs, avant d'enfin accéder à la minuscule cour, cachée derrière les locaux de sport, sur laquelle se trouvait l'objet de ses recherches. Le résultat ne collait pas à l'idée qu'on pouvait se faire d'une salle de théâtre. Lance s'attendait à une immense porte, des panneaux scintillants, un tapis rouge et des laquais en queue de pie à l'entrée. Bon, les laquais, c'était peut-être trop demander. Après tout, c'était un lycée, pas Broadway. Mais de là à se trouver devant... ça. La bâtisse était dans un état déplorable. Négligée, délaissée, elle supportait mal la marque du temps, offrant un spectacle peu agréable. L'humidité suintait du toit, laissant des sillons plus foncé strier la surface. Une fenêtre crasseuse rompait la monotonie du mur gris à intervalles réguliers. C'était le seul ornement de la façade sale, excepté les restes défraîchis d'une fresque aux motifs psychédéliques, probablement réalisée par des élèves sous la menace d'un prof d'arts plastiques fou. La porte devant laquelle se tenait Lance était étroite, et consistait seulement en deux panneaux de bois grossièrement assemblé et assorti d'un loquet. Difficile de croire qu'on y déclamait des vers vibrants de sens. La bâtisse n'avait pas l'air très étendue, et évoquait plutôt une maison hanté qu'un amphithéâtre. Il s'attendait presque à découvrir un squelette en haillons lui ouvrir la porte.

Heureusement pour lui, la seule chose qui ornait le hall d'entrée était un porte-manteau, certes effrayant, mais inoffensif. Il tâta le mur à sa droite à la recherche de la lumière, en vain. Il finit par sortir son téléphone de sa poche pour éclairer la voie. Un rapide coup d'oeil au plafond lui fit comprendre pourquoi l'électricité ne fonctionnait pas : l'ampoule était brisée. Grommelant devant l'insalubrité des lieux et regrettant pour la première fois le trop important budget alloué au club de tir à l'arc, il s'avança dans le hall. En fait de hall, c'était plutôt un couloir. À sa gauche, deux portes ouvraient sur les toilettes, et à sa droite, un comptoir probablement utilisé pour les vestiaires s'enfonçait dans les profondeurs sombres. Au fond, le couloir s'élargissait après une double porte, formant une salle décente. Cette fois, la lumière fonctionnait. Lance scanna rapidement la pièce, enregistrant le moindre détail. Il arrivait visiblement par l'arrière. À sa gauche, des tables alignées devaient servir à la buvette les soirs de spectacle. Devant lui, des rangées de chaises faisaient face à une grande scène, flanquée de rideaux qui avaient dû un jour être rouges, mais dont la couleur actuelle évoquait plutôt du saumon. Le plafond n'était pas très haut, comme il avait pu le constater du dehors, mais l'éclairage était puissant. De gros projecteurs noirs, suspendus au dessus de sa tête, étaient braqués sur la scène. Il avait presque l'impression qu'il allait assister à une représentation dont il aurait été le seul spectateur. Malgré l'abandon évident qu'avait subi ce lieu, il ne s'en dégageait pas moins un sentiment de puissance, qui lui donnait presque des frissons. Comme si le lieu avait une âme. Comme s'il s'était déroulé ici des pièces enflammées, des déclarations puissantes, comme si le public ici avait pleuré, aimé, souffert. Lance le ressentait presque physiquement.

Prudemment, il s'aventura jusqu'au bas de l'estrade. Puis, d'un habile balancement de hanches, il se hissa sur les planches. Le nuage de poussière que cette action causa le fit tousser. Quand il rouvrit les yeux, il avait une vue parfaite sur le parterre, exactement comme devait avoir les acteurs lors des pièces.

Paradis 「𝒌𝒍𝒂𝒏𝒄𝒆」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant