Paradis 「𝒌𝒍𝒂𝒏𝒄𝒆」

8. Les pièges de l'amour

Lance n'avait pas beaucoup d'expérience en amour.

Ça ne paraissait pas, comme ça. Si en public il donnait le change en flirtant avec tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un être humain (amis compris), intérieurement, il ne se sentait pas du tout en confiance. L'amour restait encore un concept abstrait, avec lequel il entretenait un rapport particulier. Il avait beau se vanter, jouer celui qui s'y connaissait, il était aussi perdu que n'importe qui, et même plus, parce qu'il ne parvenait à se contenter d'écouter ses sentiments, comme Hunk qui vivait simplement comme son coeur lui dictait. Il sentait qu'il aimait passer du temps avec quelqu'un ? Alors il passait du temps avec cette personne, et c'était tout.

Lance n'était pas aussi simple, et se sentait obligé de toujours se questionner. Est-ce que flirter, c'était être intéressé, ou c'était juste pour blaguer ? A partir de quel moment cela devenait-il sérieux ? Comment savait-on qu'on voulait plus ? Et même, y avait-il un "plus", ou l'amour se résumait-il à un vague sentiment de contentement à la vue d'un autre ? Y avait-il un jour quelqu'un qui serait capable de lui faire ressentir cette vague dévastatrice qu'on lui décrivait dans les telenovelas de sa mère et les films à l'eau de rose qu'il regardait avec Hunk ?

Parfois, il avait peur. Peur de ne jamais ressentir quelque chose d'aussi fort, d'aussi destructeur, d'aussi puissant. C'était stupide, et il se raisonnait, se disait qu'il y avait des choses plus importantes dans la vie. Il se répétait que tout ça, c'était de la fiction, des sentiments en bocal qu'on agitait sous le nez des consommateurs pour les faire rêver, leur faire croire à un futur heureux. Mais il ne pouvait pas se mentir à lui-même : il savait que ça n'existait pas que dans les films.

En grandissant, il avait eu le plus beau modèle d'amour possible : ses parents. Il avait grandi entre les baisers langoureux, les regards attendris, les taquineries, les blagues stupides, un mélange d'affection et de moquerie, qui selon lui s'apparentait à la perfection. Pas trop de déclarations enflammés, mais une présence envers et contre tout, dans les bons moments comme dans les mauvais. Pas non plus toujours de blagues ou de remarques ironiques, sans quoi cela aurait vite trop ressemblé à une relation amicale. Ses parents avaient su doser le parfait milieu entre les deux, créant aux yeux de Lance un idéal de relation amoureuse qu'il s'était depuis efforcé de reproduire avec tous les humains pour qui il ressentait ne serait-ce que la moindre pointe d'affection. Il cherchait l'amour de ses parents partout.

Au départ, il avait stupidement pensé que les garçons étaient destinés à aimer les filles. Alors il s'était contenté de tourner son attention vers les individus qui s'identifiaient comme tel. Il avait certes l'impression de n'avoir jamais ressenti un amour aussi fort que celui que se portait ses parents, mais ça ne voulait pas dire qu'il n'avait pas aimé. Il avait eu des papillons dans le ventre, les joues qui rougissaient, le coeur qui battait plus fort. Il avait même embrassé quelques filles qu'il trouvait mignonnes, brisé quelques coeurs, parce qu'il avait eu un certain succès, de l'école primaire au collège.

Puis il avait commencé à ressentir le même genre d'attirance pour les garçons, aux alentours de dix ans. Il se surprenait de plus en plus à se retourner dans la rue sur quelqu'un qu'il trouvait beau, à avoir envie d'embrasser son copain du cours de solfège, à ressentir le même rouge aux joues, le même coeur battant qu'en compagnie d'une fille qui lui plaisait. Il s'était bien caché de le dire à ses amis, se sentant à l'écart, anormal. Il avait toujours été habitué à suivre le même schéma : les garçons aiment les filles, les filles aiment les garçons, et en sortir lui paraissait impensable, effrayant, surtout qu'il n'avait jamais entendu quelqu'un parler d'une telle chose. Jusqu'à ses treize ans, il s'était complètement bloqué à toute relation sociale.