Les jeux de la couronne. T1

Chapitre 17

Le lendemain matin, Yoko vient me chercher. J'ouvre ma porte, déjà habillée avec ma valise bouclée. Aujourd'hui, le programme de la compétition prévoit une visite guidée d'Orphée. Je lui tends ma valise afin qu'elle la dépose dans la soute du vaisseau. Nous partirons directement pour la seconde épreuve après la visite. Mes bagages ne sont pas très lourds puisque mes tenues me seront directement transmises sur Vilaz.

Je dois me rendre au port aérien de Totem. Je me sens revigorée et remise de toutes mes blessures. J'ai hâte de visiter la planète. J'ai parfois l'impression d'être une voyageuse en quête d'un nouveau monde.

La plupart des joueurs sont déjà présents et attendent les autres. Je suis accompagné de Luther, mon coach, tout comme les autres candidats. Je passe non loin dArdalôn qui n'a pas d'entraîneur et de Lindorie en grande conversation avec le sien. Je profite du fait que tout le monde discute pour observer la coque du bateau. Elle est magnifique, couverte d'arabesques dorées et de roses peintes en un mélange complexe de couleurs et de textures. Je me faufile entre les Conquérants et les Explorateurs sans trop savoir où me placer quand j'entends une voix.

— Il n'a pas réussi à prendre Dell.

Je me fige quelques instants pour tenter de deviner qui a parlé. Pourquoi parle-t-on de ma planète ? Je me tourne dans tous les sens. Je distingue deux personnes en train de discuter derrière l'immense trois mâts qui va nous servir de moyen de transport. Je reconnais immédiatement le long manteau de Daerôn. Avec qui parle-t-il ? Je m'approche discrètement et laisse Luther entamer une conversation avec un de ses collègues.

L'interlocuteur de Daerôn chuchote en faisant de grands gestes. J'aperçois une bague à son index. C'est un anneau en argent avec une lettre gravée. Un M, majuscule. L'homme mystérieux se penche pour glisser quelques mots à l'oreille du prince de feu et quelques mèches blondes envahissent mon champ de vision. Je me recule rapidement. C'est Nathaniel. Pourquoi parlent-ils de Dell ensemble ? Que complotent-ils ?

Je reviens vers Luther pour attendre l'embarquement dans le bateau volant. Je reste immobile même si mes pensées filent à toute allure dans ma tête. Se pourrait-il que Daerôn soit de mèche avec son père ? Aegnor, cherche-t-il un moyen pour envahir définitivement Dell ? Je ne veux pas le croire... Mais je connais bien le proverbe « Tel père, tel fils », alors je ne devrais pas être étonnée. En revanche, je ne vois pas pourquoi Nathaniel se préoccupe du sort de la planète.

Je triture mes gants en cuir pour me décontracter. Je dois savoir ce qu'ils mijotent. Si ma planète est en danger, je dois agir. Une main s'agrippe soudain à mon épaule et me force à me retourner. Rassna m'adresse un sourire hypocrite.

— Je ne me suis pas présentée officiellement, je suis Rassna, princesse héritière de Vilaz.

Elle accentue le mot princesse comme si l'énorme couronne sur sa tête nétait pas suffisante pour deviner sa position. J'ignore pourquoi elle souhaite se montrer gentille avec moi alors quelle me pourchassait dans le labyrinthe.

— Enchantée. Je suis Elwing, de Dell.

Je lui tends la main amicalement. Elle me lance un regard plein de mépris.

— Chez moi, on ne se sert pas la main, on se salue de la tête. Tu devrais revoir tes leçons de protocole.

Je hausse les sourcils, surprise pas ce brusque changement d'attitude sans pour autant en être totalement déconcertée. Ses yeux, lourdement maquillés, me lancent des éclairs.

— Écoute-moi, ma gazelle, tu n'as pas intérêt à t'approcher de Daerôn. Il est à moi.

Ah, je comprends mieux. C'est assez flatteur qu'elle puisse me menacer pour cette raison. Mais elle se trompe. Daerôn ne m'intéresse pas. En tout cas, pas dans le sens qu'elle le suggère. Je veux juste savoir pourquoi il parle de Dell avec Nathaniel.

— Je n'en ai pas la moindre intention. Tu peux le garder, lui dis-je sèchement.

J'ai l'impression qu'elle voit le prince de feu comme un objet précieux à exhiber à ses côtés. Ça me dégoûte qu'on puisse considérer quelqu'un de cette façon.

— Parfait, répond-elle. Je voulais m'assurer que les choses soient bien claires.

C'est à ce moment que Daerôn surgit de l'ombre et rejoint Saeros. Rassna s'empresse de le retrouver et de lui prendre le bras. J'ai envie de rire lorsque je vois qu'il ne la regarde même pas.

Nous montons enfin à bord du majestueux bateau volant. Le pont est dans un bois clair brillant et ciré. Le galion commence alors doucement à s'élever dans les airs. Je reste bien au centre pour éviter de voir à quel point nous nous éloignons du sol. Les orphéens utilisent ce genre de transport parce que les vaisseaux sont trop gros pour leurs petits îlots. Ce sont les namusiens qui leur ont fait don de certains de leurs bateaux. Les orphéens les pilotent grâce à leur pensée. Le vent dans les voiles allège leur poids et ils sont plus maniables.

Le mât de misaine est en bois d'acajou. C'est un vaisseau assez luxueux, normalement réservé aux déplacements de la présidente. Je m'approche lentement du bord en inspirant à fond. La mer de nuages blancs que nous traversons semble être aussi légère que du coton. Je suis fascinée par le capitaine qui dirige notre embarcation d'une main contre sa tempe.

Nous quittons Totem et d'autres îlots entrent dans le paysage aérien.

— Sur votre gauche, se trouve Béor, le centre culturel d'Orphée, Totem quant à lui est le centre politique. C'est sur Béor que la plupart des orphéens travaillent. Ils vendent des tapisseries et des tableaux. Les orphéens sont des artistes dans l'âme et sont doués de leurs mains que ce soit de la poterie, du dessin ou même de la peinture. Certains préfèrent cependant travailler dans l'industrie du transport, ce qui ne les empêche pas de pratiquer un art dans leurs activités de détente.

Je me demande si Bélèm est un artiste ou juste chargé de la protection de sa planète. Pourtant, je l'ai rencontré sur un des pontons extérieurs. Être une sentinelle, ce doit être ennuyant et long. Je le regarde du coin de l'œil alors qu'il baille. J'ignore si c'est parce qu'il s'ennuie où s'il est épuisé d'avoir travaillé toute la nuit. Ses cheveux châtains sont en batailles et ses yeux clairs ont l'air gonflé de fatigue.

— La coque de ce bateau a été entièrement sculpté par le fils de la présidente.

Voilà qui répond à ma question.

— Sur votre droite se déploient les îles Grangos. Elles constituent les quatre plus grosses parcelles d'habitation d'Orphée. Les maisons sont construites dans une pierre beige qui ressemble un peu au silex des falaises de Namus. Elle est très légère et pratique pour la construction.

Je distingue des maisons et des immeubles sur les îlots que nous montrent le capitaine. La plupart sont envahis par du lierre.

— En face, se trouve le centre médical d'Orphée. L'îlot est assez petit. Au centre, vous pouvez voir l'hôpital Klène. Les orphéens ont besoin d'un suivi médical pendant une année entière après leur naissance. En effet, les nouveaux nés ne savent pas contrôler leur pouvoir et il est dangereux de se trouver à leurs côtés, car ils déplacent des objets de façon aléatoire. Pour leur protection ainsi que celle de leurs proches, ils sont isolés dans une salle spécialisée et sont suivis par un Maître qui reste avec eux jusqu'à ce que l'enfant maîtrise sa télékinésie sans danger.

Je suis totalement attentive aux explications du capitaine. Je trouve la culture orphéenne très captivante et intéressante. Plus loin, je vois un autre îlot en forme de cœur creux. A quoi peut-il servir ?

— Au loin, vous pouvez voir un îlot à part. On l'appelle l'îlot des amants maudits. Les Orphéens croient à une légende ancienne qui raconte qu'un homme et une femme se sont mariés sur cette îlot. Leur histoire est celle d'un amour impossible et d'un mariage secret. Les orphéens qui sont très superstitieux considèrent cet îlot comme malchanceux. C'est pourquoi aucun n'y a jamais mis les pieds.

J'aimerais en apprendre plus, car cette légende est passionnante et mystérieuse. Malheureusement, la visite se termine.