Je continue de regarder la table impuissante. Mon souffle est irrégulier et malgré les paroles de la prof je ne me calme pas. Je crois entendre une personne crier, mais je n'y fais toujours pas attention. J'ai tellement de mal à respirer que j'ai l'impression de sombrer petit à petit dans le néant. Faire une crise en plein cour, c'est vraiment quelque chose de bénéfique si vous voulez encore plus attirer l'attention sur vous.
Cela doit faire depuis cinq, dix ou quinze minutes que je suis dans un état de semi-conscience au bord de l'évanouissement. Une autre personne arrive et se dirige vers moi. Cette même personne me prend par les épaules et m'aide à me lever, avant de me sortir de la salle. Un des nœuds qui s'est formé dans ma poitrine se desserre. Le fait de ne plus être parmi eux, ceux qui me jugent constamment en attendent le moindre faux pas afin de me le rappeler à chaque fois.
Je ne veux même pas penser aux remarques qui vont être faites à mon retour. Je préfère penser à ces quelques heures de délivrance.
L'infirmière me fait traverser presque tout le lycée. Et si ce n'est pas le cas, c'est tout comme pour moi. Chaque geste que je dois effectuer, chacun des pas qui me fait avancer, tire chaque muscle de mon corps. Être tétanisé lors d'une crise, c'est comme être un robot rouillé et c'est extrêmement douloureux.
Après ce qui m'a semblé être une éternité, on rentre enfin dans l'infirmerie et madame Nocq me fait asseoir sur le petit canapé présent dans la pièce. Cette petite dame, qui, caché par son physique peu flatteur comme certains le disent à un cœur d'or se dirige derrière son bureau et revient peu de temps après avec une bouillotte, deux tasses et une petite boîte, le tout posez sur un plateau qu'elle met ensuite sur la table.
Je ne pleure plus, mais je n'arrive toujours pas à bouger. Mes mains sont ancrées dans le canapé et si j'avais les ongles plus long, je crois que ces derniers auraient été éventrés depuis longtemps. Je reprends ma respiration lentement.
-Ça va aller ? me demande t-elle.
Je perçois de l'inquiétude dans sa voix, ainsi qu'une certaine pitié. Je hoche lentement la tête ce qui me fait encore plus souffrir. Elle souffle comme soulagée et prend la bouillotte. Elle verse l'eau chaude dans les deux tasse et m'en tend une.
-Bois ça va te détendre.
Je suis son conseil et bois lentement cette boisson chaude qui me réchauffe et qui finit par défaire tous les nœuds qui ont été formés. J'arrive à nouveau à respirer normalement et relève la tête en serrant la tasse afin de me réchauffer les mains.
-Tout va bien Eva ?
Je daigne enfin la regarder dans les yeux. Ses yeux bleus presque marrons sont profonds et on peut tout savoir sur elle rien qu'en la regardant. On voit bien qu'elle aime ce qu'elle fait. Que chaque jour dans ce lycée pour elle, c'est un jour à Disney World pour un enfant. Ses cheveux blonds aux carrés et ondulés encadrent parfaitement son visage rond et ridé avec le temps.
-Ou... Oui
La voix encore enrouée, j'ai du mal à articuler ce mot aussi simple soit-il.
-Je vous remercie d'avoir été là madame, lui dis-je.
-Je t'ai déjà dit que tu pouvais m'appeler Agnès me répond t-elle avec un sourire.
Je cautionne son sourire et le lui rends. Ça me fait extrêmement du bien d'être avec elle. Elle est si gentille et prévenante avec moi. Elle joue un peu le rôle de la maman que j'ai perdu. Cela me fait un peu bizarre, mais j'aime ce sentiment.
***
Après cette journée de cour qui m'a semblé interminable, je sors enfin de cet enfer. Je regarde mon téléphone et constate qu'il est à peine quinze heures trente. Si je rentre maintenant, je vais devoir supporter bouclette jusqu'au retour de mon frère et d'ici-là ça m'étonnerait qu'une de nous deux soit encore en vie à son retour.
Je marche sans réfléchir. Quand mon regard est attiré par un enfant qui bouge sur une balançoire. À un moment il va tellement haut qu'il glisse de la balançoire et ses rires se transforment vite en pleure. Cette image me brise le cœur. La femme prend l'enfant dans ses bras et part à toute allure du parc. Je rentre à mon tour dans le petit espace.
Personne, l'endroit est vide. Il n'y avait jusqu'à maintenant que l'enfant et sa mère, mais maintenant plus personne. Je m'assois sur la balançoire et pose mon sac à côtés et commence ce lent mouvement de vas et viens sur l'installation. Je revois encore cette scène. L'enfant qui rigole et qui en une fraction de seconde pleure. Preuve que la vie peut basculer d'un moment à l'autre par inadvertance. Il suffit de peu pour que tout change.
Alors que je laisse toujours mes jambes lâchées et regarde le sol, je sens qu'on me pousse. Mais pas doucement comme la mère avec son enfant tout à l'heure. Mais un coup violent visant à me faire tomber. Je me redresse sur mes coudes et me retourne. Lya me regarde comme si je n'étais rien. C'est bon, j'ai compris que tu ne m'aimais pas salope, mais arrête de me le rappeler sans cesse. J'essaie de sortir cette phrase, mais impossible. Elle reste bloquée et ne veut décidément pas être dite.
-T'as perdu la parole ?
Elle me regarde comme si j'étais sa proie.
Et c'est là que je réalise. Je suis la souris et elle est le chat. On dirait bien que c'est la fin pour moi. Ou du moins d'une certaine manière. Je ne bouge plus et la regarde. Elle à l'air d'aimer ça. De me voir là, à ses pieds, comme si je n'étais rien.
-Ça serait plus drôle si tu réagissais.
Mais rien. Je ne bouge toujours pas ne voulant lui apporter ce plaisir de lui montrer ma réaction.
-C'est ton poids qui fait que tu ne bouges pas ?
Ses paroles me blessent, mais toujours rien. Je me mords la joue pour ne pas pleurer.
-Aller quoi ! Bouge toi! Fait un truc! hurle t-elle.
Je ne fais toujours rien et commence à sentir le goût du sang se répandre dans ma bouche. Énervée, elle commence à me donner des coups de pied. Je me replie et protège mon visage avec mes mains. Elle continue, alternant jambes, ventre, dos, cotes, bras. Et malheureusement pour moi, ces talons auront eu raison de moi.
Les minutes passent et les coups ne cessent pas. Des larmes involontaires coulent le long de mes joues et je garde toujours mes mains contre mon visage. Après ce qui m'a semblé être une éternité je ne sens plus rien. Les yeux toujours fermés, je me demande si j'ai fait un malaise. J'aurais enfin trouvé un moyen pour me libérer de cette souffrance. Mais je suis vite rattrapé par la le vent d'hiver qui mord ma peau dénudée.
VOUS LISEZ
Lower Than Earth
Genç KurguJe me fais harceler à cause mon poids. À cause de cette putain de maladie. Si j'avais pu choisir mon corps, j'aurais été mince. Comme ces filles populaires qui se moquent de moi. Comme si la...