Camille regardait les autres enchaîner les sauts d'obstacles et les courses sans esquisser le moindre geste. Elle attendait son tour, désespérément. Pas par impatience, loin de là. Elle avait beau se sentir un peu moins faible aujourd'hui, elle n'était pas assez forte pour l'athlétisme, surtout se sachant observée. Les yeux rivés sur sa personne la rendaient malade. Elle était simplement terrorisée.
Mais il fallut se résigner en entendant le coup de siffler fatidique, et, comme tous les autres, courir, sauter, s'épuiser. Les regards ne la quittaient pas. Elle croyait presque entendre les ricanements, les moqueries. Devinaient-ils les marques sous son gilet épais ? Voyaient-ils les bleus à peine estompés dont ils l'avaient marquée ? Ils n'avaient aucune raison de rire alors qu'ils la poussaient à mourir à petit feu.
À la fin de la séance, elle se précipita dans les vestiaires. Elle voulait fuir, ne plus subir le jugement silencieux qui lui collait à la peau, lui donnait la nausée. Pourquoi la réalité était-elle si compliquée ? Elle voulait s'échapper, oublier. Elle voulait... Voulait mais ne pouvait pas.
Seule au milieu des bancs, l'adolescente fronça les sourcils en voyant le coin dans lequel elle se réfugiait pour se changer complètement vide. Où était son sac ? Et ses chaussures ? Sa veste ? Ses vêtements ? Paniquée, elle regardait autour d'elle, en vain. Tout s'était simplement volatilisé, sans laisser la moindre trace. Les autres files l'ignoraient, riaient sous cape face à son air perdu. Elles sortirent une à une tandis que la jeune fille restait là, pétrifiée. La dernière élève se retourna avec un sourire sadique et lança simplement :
- Regarde dans les toilettes, c'est là qu'on trouve la merde généralement !
Elle sortit en riant tandis que Camille se précipitait aux toilettes, serrant les dents. Bien sûr, c'était évident. Cacher ses affaires n'aurait pas été suffisant. Il fallait l'humilier, la blesser autant que possible. Dans la petite cabine exigüe, elle dû une nouvelle fois serrer les dents. Tout était perdu. Le sac éventré gisait sur le carrelage, tandis que les vêtements étaient sauvagement jetés d'un bout à l'autre de la cabine. Tremblante, elle s'avança lentement, pour voir son téléphone au fond de la cuvette.
C'en était trop, bien trop. Elle n'arrivait plus à respirer, la rage et la douleur l'étouffaient. Poussa un cris de désespoir, elle se tourna frappa le mur de toutes ses forces. En même temps que la douleur incendiait sa main, les larmes brulantes se mirent à couler sur ses joues. Mais qu'importe ? Elle recommença encore. Encore et encore une fois, jusqu'à être totalement épuisée. Le carreau de carrelage précédemment fissuré s'était brisé, formant une triste mosaïque au milieu des habits déchirés.
A bout de forces, la jeune fille s'écroula au sol, enfouissant sa tête dans ses mains pour laisser libre cours aux sanglots qui secouaient son corps frêle. Pourquoi tant d'acharnement ? Comment était-elle sensée se battre, tous les jours ? Elle n'y arrivait plus. Presque frénétiquement, elle secouait la tête, respirant difficilement sous la foule de pensées désordonnées qui l'assaillaient. La panique affluait, envahissante.
Soudain, elle ne fut plus seule. Un bras se glissa autour de ses épaules, et une tête se posa contre la sienne. Elle voulut d'abord repousser cet étranger -peut-être voulaient-ils la frapper en plus de cela !- mais elle reconnut immédiatement la voix qui lui chuchota avec douceur.
- Ça va aller je suis là maintenant.
L'adolescente abandonna toute résistance pour se laisser aller, accrochée au t-shirt du lycéen qui lui frottait doucement le dos. L'étrangeté de la scène n'avait pas d'importance. Les affaires perdues non plus. Il ne restait que des pleurs étouffés et une épaule sur laquelle enfin s'appuyer.

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Broken.
Teen FictionDu haut de ses 15 ans, Camille vit un véritable enfer au quotidien. Entre le lycée et ses persécutions, sa solitude et la mort omniprésente, l'adolescente est perdue. Comment survivre lorsque tous nos repères sont détruits ? TW : Mutilation, suicid...