Chapitre 9

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Théo avait accouru au gymnase dès la fin du cours, espérant pouvoir y apercevoir Camille. Le temps et les adolescentes passaient, lentement. Assis sur un banc en bois miteux, il les observait, les sourcils froncés. Les sourires étaient mauvais, malsains. Que se passait-il ? Il attendit encore quelques minutes, hésitant. Prenant finalement son courage à deux mains, il pénétra dans la bâtisse, à longues foulées prudentes.

Il resta cependant cloué sur place à l'entente d'un cris presque inhumain résonnant entre les murs. Il se retrouvait là, au milieu des bancs délaissés où flottait encore une odeur âcre de déodorants mélangés, impuissant face à la détresse qui émanait de la pièce adjacente. Il devait bouger, agir, lui parler... Mais il restait figé, les yeux écarquillés. Il serra finalement les poings en revoyant les expressions des filles plus tôt et se précipita vers l'adolescente qu'il trouva écroulée sur le sol, au milieu de débris épars.

Sans hésitation cette fois, il serra le corps fin de l'adolescente dans ses bras, comme si en l'étreignant, il pouvait absorber toute sa souffrance. Il lui avait semblé murmurer quelque chose, mais ça n'avait pas d'importance. Il était encore chamboulé, ébranlé. 

Le jeune homme se contenta alors de la bercer de mots doux, tout en se balançant lentement d'avant en arrière, espérant parvenir à la calmer. Lui-même sentait la rage s'évaporer au fur et à mesure que les minutes passaient. L'adolescente se détendant petit à petit dans ses bras l'aidait à ne plus avoir envie de tout détruire. Au bout d'une bonne heure cependant, il finit par lui murmurer.

- Il faudrait peut être sortir, tu en dis quo...

Une mèche de cheveux sombres bougeant, dévoilant le visage apaisé de la jeune fille endormie le fit s'interrompre. Il resta quelques secondes à la contempler, un demi sourire attendri aux lèvres. Elle semblait être une toute autre personne, endormie et en plein jour. Il avait deviné ses traits fins dans la pénombre, puis de loin, mais il pouvait réellement la voir cette fois. Lentement, il détailla les paupières lisses bordées de cils longs, les pommettes encore légèrement rouges, humides de larmes pas encore toutes séchées et les lèvres fines, gercées d'être probablement trop mordues de stress.

Son sourire ne fit que s'agrandir. Mais il fallait partir, ils ne pouvaient rester ici éternellement. Se levant, il rassembla les affaires éparses qui semblaient récupérables, les glissant dans son sac à dos. Il prenait rarement la peine d'emmener ses affaires de cours, la place ne manquait pas. Se penchant, il passa un bras sous les genoux de l'endormie et l'autre sous ses épaules afin de la porter. La trouvant trop légère, ils soupira doucement, mais sortit bien vite du lycée afin de ne plus avoir à ignorer les regards interrogateurs et moqueurs des autres élèves.

Une fois dehors, il comprit bien vite que même si la jeune fille était légère, il n'arriverait pas à marcher jusqu'à chez parents en la portant, et il ne saurait pas expliquer sa présence à ses parents. Soupirant, il la déposa sur le banc de l'arrêt de bus, le temps de prendre son téléphone, composant l'un des deux numéros y étant enregistrés. 

- Ouais ?

- Salut Ben, t'es chez toi ?

- Non, je bosse cette semaine. Le patron loge c'est super coo-

- Okay, je peux squatter l'appartement.

- Tu pourrais au moins faire semblant d'écouter ton frère quand il-...

- Abrège s'il te plaît.

- Les clefs sont sous la paillasson, ciao.

Le dénommé Ben avait raccroché avant que Théo n'ait pu le remercier. Les deux frères étaient assez soudés, mais se parlaient rarement plus de quelques minutes. Peut-être par gêne, ou pudeur d'avouer qu'ils se manquaient mutuellement. Refusant de se laisser aller à ses pensées, l'adolescent reprit la jeune fille dans ses bras, amusé de voir dans quel sommeil de plomb elle était plongée. Elle devait être très fatiguée.

Sans plus attendre, il prit le chemin de l'appartement délaissé de son aîné, trouvant les clefs sur la porte. Grognant contre l'inattention de son frère, il déverrouilla la porte et alla allonger l'adolescente dans le petit lit de la pièce servant de chambre, de salon et de salle à manger. Le logement n'était pas bien grand, seulement deux pièces divisées en salle d'eau et salle "au reste". Mais c'était amplement suffisant pour permettre à son amie de se reposer. Silencieusement, il alla fermer à demi les stores, les plongeant dans une semi-obscurité confortable. 

Il prenait place à ses côtés quand, soudain, dans un de ces mouvements que le corps fait inconsciemment, elle bougea légèrement le bras. Son gilet se retira, suffisamment pour laisser apparaître les marques de coupures. De gros traits horizontaux, encore rouges et gonflés barraient sa peau pâle auparavant si fine et délicate, au milieu de cicatrices plus ou moins effacées. 

Théo resta choqué face à cette découverte. Il savait que l'adolescente allait suffisamment mal pour vouloir mettre fin à ses jours et il avait le cutter... Mais il n'avait jamais eu sous les yeux des preuves aussi flagrante d'un tel désespoir, d'une telle souffrance cachée enfouie au fond d'un esprit qui commençait à perdre pied face à cette accumulation de pression et de douleur.

Broken.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant