Chapitre II : Indifférence

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Sa main caressa sans volonté la place vide à ses côtés. Ne pouvant se délecter de son visage toute la nuit durant, Yoongi l'avait passé à contempler le creux laissé par son frêle corps sur le lit. Elle s'endormait du côté où les ressors manquaient, si bien que le vieux matelas avait fini par sauvegarder le contour de ses courbes – lui occupait la place sur laquelle la barre en fer donnant sa forme au rectangle de mousse épousait à la perfection sa colonne vertébrale, ce qui résultait en des bleus sur les hanches et des os douloureux chaque matin. Récupérant son membre, le veilleur inspira lourdement, embaumant au passage ses narines d'une douce odeur de lilas imprégnée aux quatre coins de leur appartement. Un sourire se peignit sur ses lèvres en se remémorant ces jours d'antan où, le nez niché dans son cou, il lui aurait soupiré à quel point elle sentait bon, à cette époque pendant laquelle le simple fait de l'effleurer ne rimait pas avec dilemme insurmontable. Comme il aurait voulu retourner à cette période...

Une sonnerie trop entendue déjà l'éveilla de sa rêverie. Pourtant, ses membres restèrent de glace encore un moment, très peu emballés à l'idée d'affronter la journée qui se préparait. Mais sa paresse ne dura guère longtemps qu'il se redressa brusquement pour balancer l'appareil contre le mur, rendu fou par ce vrillement insupportable. Un bruit de fracas suivit son acte tandis que les piécettes s'éparpillaient sur le par terre. Le colérique s'arrêta un instant, index et majeurs massant ses tempes, le temps de calmer son rythme cardiaque accéléré par son brusque mouvement au réveil. Ses lombaires le tiraillaient de douleur, au point qu'il n'osait plus prétendre au moindre mouvement de peur d'en rester paralysé. Aussi, ses globes oculaires pleuraient de fatigue ; sûrement aurait-il dû dormir la nuit dernière. Les pognes sur les genoux pour se donner de la force, ses jambes finirent par le porter hors du lit, le guidant vers la salle de bain. Un tambour martelait son crâne, l'obligeant à plisser les paupières. L'éveillé ne les rouvrit qu'une fois le robinet ouvert à l'aveuglette et l'eau passée sur son visage plusieurs fois à la suite. Le reflet qui apparut dans le miroir lorsqu'il releva la tête lui fit froid dans le dos. Sa peau naturellement blafarde paraissait à présent cadavéreuse. S'il ne déambulait pas sur ses deux pieds, l'insomniaque se serait lui même prit pour mort. Quant à ses lèvres, elles avaient troqué leur rose clair originel contre un beige couleur chair. Le pire restant ses globes oculaires cernés de noir sur plusieurs centimètres. Des dizaines de ruisseaux de sang s'entremêlaient dans ses sclères, lui donnant un air de revenant. Un soupir se fit entendre alors que ses doigts passaient dans ses cheveux – ces derniers n'en ressortant pas tout de suite, piégés par un sac de nœud. Inspectant ses fibres capillaires, le jeune homme les trouva bien grasses et ternes ; un regret d'une micro seconde le prit à propos de son manque récent d'hygiène mais il ne s'y attarda pas plus longtemps et préféra enfiler les premiers vêtements à sa portée étalés au sol tout en plaquant ses cheveux du mieux qu'il le pouvait de ses paumes. Un coup d'œil sur sa montre l'informa que le temps lui manquait à en faire plus, alors, le lève-tôt enfila veste et chaussures pour quitter l'appartement.

[...]

Forçant sur ses muscles endoloris, Yoongi s'acharna à frotter la table plus vigoureusement encore. Aujourd'hui, le travailleur était en charge de la fermeture et un nombre astronomique de tables à laver l'attendait sagement avant de pouvoir rentrer. Las, son champ de vision s'attarda vers la vitrine d'où la noirceur du ciel emmitouflait le paysage. À en croire l'intensité des ténèbres, l'horloge devait flirter avec minuit. La rue adjacente au restaurant était inhabitée, loin du brouhaha qui remplissait habituellement les journées. Les ruelles étaient toujours bondées – l'endroit se situant en plein centre ville – alors ce silence ambiant lui procurait une drôle d'impression étrangement désagréable. À l'instant, aucun bruit n'osait rompre cette absence sonore, à l'exception de quelques crissements de métal que l'on fait tomber ou de pas discrets accélérant sur le bitume. Quelques voix discrètes retentissaient parfois ci et là, entre quelques vrombissements de moteurs. En somme, uniquement des sons suspects propres au soir dont l'homme ne préférait même pas réfléchir à l'origine sous peine de finir recroquevillé sous la table de terreur. La lune disparaissait presque là-haut, ne dévoilant qu'un infime quart de sa rondeur. Les étoiles ne remplissaient pas non plus leur rôle puisque, inexistantes, elles subissaient la pénombre sans la moindre trace de combat. Seules quelques voitures rompaient avec le néant lumineux de leurs phares ; sûrement les retardataires rejoignaient leur domicile à cette heure-ci, ou bien d'autres s'apprêtaient à s'amuser jusqu'à l'aube. Dans tous les cas, il souhaitait lui aussi enfourcher sa voiture et rentrer à son appartement. La simple idée d'enfin s'allonger après cette rude journée le faisait frémir d'impatience. Remotivé, l'observateur reprit sa tâche initiale sans plus s'arrêter avant d'avoir éliminer le dernier grain de poussière. Avisant sa montre, le jeune homme y lu 00:26 après avoir abaissé le store à l'entrée. Ses bras le tiraient de fatigue, et bien que l'idée de retourner dans ce minuscule logis qu'était le sien où plus personne ne l'attendait plus le dérangeât, rejoindre son lit à moitié cassé le laissait pour une fois rêveur. La nostalgie l'étreignit à cette pensée, pas le moins habitué à ne plus avoir personne à qui raconter sa journée en rentrant. Exhalant, ses pas se dirigèrent vers son véhicule.

Ephemeral InnocenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant