Chapitre XI : Second dîner - Sombre Réalité

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          La sonnerie l'assommait. Stridente. Criarde. Elle déchirait ses tympans à n'en plus finir. Le tocsin résonnait telle une sentence à l'issue irrémédiablement morbide. Éternelle, la note se prolongeait, puis se taisait. Un simple millième de seconde avant de reprendre son hurlement. Il n'y avait pas l'ombre d'une respiration autour de lui. La sienne même se faisait silencieuse face à cette cacophonie. Tout aux alentours n'était que mutisme glaciale. Tout, à part ce glas sinistre dont la répétition le rendait fou. Les mains plaquées sur les oreilles, Taehyung était parcouru de spasme, recroquevillé au pied de son lit. Le bruit étranger malgré sa fréquence soutenue ces temps-ci le faisait trembler de terreur : impossible de se calmer. Pourtant, il lui était évident que ce cri ne cesserait sans qu'il ne fît quelque chose. Son corps ne voulait s'en convaincre cependant et s'obstinait à demeurer de marbre. Sa velléité était grande, mais son activité moindre. Les yeux fermés, les lèvres tremblantes, l'unique habitant de la demeure rassembla la volonté de mettre fin à ce cauchemar.

Le cœur battant à cent à l'heure, ce dernier se redressa finalement, les jambes si flageolantes qu'il ne sut que s'écraser contre le matelas ; le vertige le déroutait. Ses yeux embués peinaient à regarder devant. Les larmes n'avaient d'arrêt, le vrillement sonore non plus. Quand il eut quelque peu recouvré ses esprits, le garçon tenta une nouvelle fois de se relever ; une poignée de secondes furent nécessaires à ce qu'il se stabilisât pleinement. Le hurlement de la sonnette l'assourdissait au point que ses tympans meurtris n'en perdissent tout sens de l'équilibre, conséquemment, son visage décrivait inconsciemment des cercles dans l'air, jusqu'à se recentrer. Enfin debout, le solitaire avança. Doucement. Si lentement qu'il était donné de le faire. Au fur et à mesure que ses pas progressaient, le bruit disparaissait mystérieusement, rendant sa marche plus assurée. Pourtant, il n'en était rien : ses membres tremblaient de l'intérieur. Bientôt, seulement cinq ou six mètres le séparèrent de la double-porte d'entrée. La sonnerie s'était tout à fait tue. Il savait néanmoins qu'elle continuait de fouetter l'air ; ses oreilles n'avaient de cesse de siffler. Derrière ce bourdonnement continu, la seule chose que l'enfant percevait était les battements emballés de son cœur. Ce simple bruit accroissait la panique qui le dévorait. Ses pas arrêtés, ses paumes durent se plaquer sourdement contre le métal pour le réceptionner ; la force l'ayant mené jusqu'ici venait de soudainement le lâcher pour le laisser pantois contre la surface plane. Il se sentait immensément vide, sans la moindre énergie pour demeurer en vie. Faiblard, l'angoissé glissa un œil sur l'écran de l'interphone et appuya sur le bouton qui le séparait de l'origine de ce raffut pour activer l'image. La définition était floue mais il pouvait déceler une silhouette non identifiée sur le seuil, le bras nonchalamment tendu et le poing frappant l'objet de torture auditive avec rage. Sa tête étant baissée, le voyeur ne pouvait observer que le reste de son corps. Ce dernier se découpait en trois morceaux : une tâche noire formée par ses jambes, épaisses à la taille mais qui – à l'instar d'un entonnoir – se fermaient sur de minuscules pieds, un autre embrouillamini blanc composé d'un tissu virevoltant dans l'espace, et un dernier macule couleur de jais qui s'effilait telle une broderie décousue. Les fils s'agitaient à chaque mouvement comme s'ils étaient dotés d'une conscience propre à repousser son regard, et les poings frappant avec acharnement l'instrument électrique semblaient d'énormes cailloux venus le crouler sous leur poids pour le défigurer. Ils le menaçaient, eux et leur roche effritée par endroit qui leur donnait cet aspect hideux. L'allure de cette forme mouvante paraissait erratique. Ses membres se mouvaient de manière saccadée avec sa tête pendante et ses bras se tordant dans tous les sens. En collant son profil contre la paroi de l'ascenseur, Taehyung entendait des gémissement hystériques pareils à des grognements inhumains. Son corps frissonnant de toute part, le garçon se décolla des portes pour tourner une nouvelle fois son regard vers la vitre animée qu'il avait quittée. Un hurlement déchira sa voix au point de le faire retomber plusieurs mètres en arrière, les globes oculaires découverts à l'extrême et les mains rattrapant sa chute. Il avait vu... C'était... Quelque chose d'horrible ! Le monstre avait levé son énorme visage aux sclères criblées de veines vers lui. Ses muqueuses avaient semblé bordées de ce même coloris sanguin, si tant été que les gouttes qui s'y mêlaient avaient conservées leur transparence. Sous son regard perçant pendaient des cernes si longues qu'elles mangeaient ses joues. Elles étaient noires. Plus sombres que l'obscurité la plus complète. Et des jets verdâtres et violacés venaient ci et là creuser cet immondice en un relief repoussant. Quant à ses dents, elles avaient couvert la presque totalité de son champ de vision. Ces dernières étaient entrecalées d'une salive qui lui coulait jusqu'à ne plus voir. Elles étaient gigantesques, serrées, si bien qu'il lui avait parut en distinguer une troisième rangée tout aussi auréoline. Lorsque leurs yeux s'étaient croisés, Taehyung avait compris avoir commis l'irréparable ; la bête devait l'avoir aperçu elle aussi. Il avait vu la fin dans ces iris dénaturés. Ça, et une folie sans nom qu'il avait relâché bêtement en croisant son chemin. Désormais, elle frappait à la porte comme une dégénérée. Chaque coup porté à la surface se répercutait directement contre sa cage thoracique pour l'asphyxier. L'écho du tambour crépitait dans son cœur ; l'effrayé ne parvenait plus le moins du monde à respirer. Ses doigts se plantaient dans sa gorge pour la soulager vainement : l'air ne traversait point sa trachée. Ses phalanges encerclaient son cou, le rougissant de violence, le griffant parfois de précipitation. L'angoisse lui volait aussi bien son souffle que sa prise n'aggravait sa pénurie d'oxygène en l'étouffant lui-même par ses gestes incontrôlés. Les larmes, elles, coulaient à flots sur ses joues cramoisies tandis que ses hoquets provoquaient des bulles d'air qu'il happait à s'en racler la trachée déjà toute sèche et irritée. Derrière le mur de métal, l'affreux l'appelait, le menaçait par un nom qui n'était pas le sien mais qui, de manière insensée, semblait à l'instant le désigner. La réalité n'existait plus. Les mots fluaient, l'insultant, l'intimidant, et l'enfant imageait chaque menace, l'amplifiant au passage. L'abomination allait détruire la barrière entre eux. Elle allait entrer ici pour planter ses crocs sous sa peau qu'elle déchiquetterait de ses griffes. Elle grognerait en lui ôtant chacun de ses membres. Et lui hurlerait, plus fort qu'il ne le faisait déjà, jusqu'à ce que ses cordes ne saignassent et bien après encore. L'effroyable créature allait le tuer à vif. Le sang coulerait bien plus vite que ses pleurs, assez pour le noyer dans son propre fluide. Et il étoufferait dans le liquide, s'il n'avait pas cessé de respirer précédemment. Pitié. Que la douleur s'en aille !

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