16 | Vitesse supérieure

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– L'ascenseur est réparé, patron, annonça l'un des deux AS posté à l'entrée du grand bureau.

Il avait parlé sans tellement attendre de réponse, simplement annonçant ce qu'il avait à dire comme on lui avait toujours appris.

Raph se leva d'un bond et fit valser sa chaise roulante derrière lui. D'une marche volontaire et tremblante de rage, il vint se planter devant ses deux mercenaires en armure sombre.

– Vous mettez deux jours à vous occuper d'un putain d'ascenseur ? s'exclama-t-il d'un ton cassant. Vous croyez qu'on a du temps à perdre ? Le jour où les flics vont débouler, vous les regarderez comme ça avec vous grands yeux ébahis ?

Devant lui les deux gardes restaient immobiles, tenant le garde à vous sans broncher, les bras le long du corps, leur mitrailleuse sur le flanc. Raph était dur avec eux et en plus de ça, il exagérait sur un point : leurs yeux ébahis. Étant de pures machines de combat, formées dans un esprit de cohésion et de discipline exemplaire, les AS étaient assurément les hommes les moins expressifs sur terre. Montrant à chaque instant leurs visages aux traits coléreux, ces soldats hautement qualifiés n'étaient pas là pour jouer la comédie. Sécuriser la tour était leur mission et, aujourd'hui, même les cris de Raph ne réussissaient pas à les détourner de leur objectif principal.

– Aucun signe de la police, patron.

– C'est ça, foutez moi le camp... Vous ne m'êtes d'aucune utilité au vingtième étage.

A ces mots, les deux AS tournèrent les talons dans un mouvement de retrait synchronisé et, de leur marche cadencée, ils disparurent au bout du couloir. Raph, qui les regardait quitter la pièce, lâcha un grand soupir en se retournant vers ses deux collègues, toujours assis à la grande table triangulaire.

– Ça se gâte, vieux. Que te faut-il de plus pour donner le signal, lui demanda Georges d'un air presque agressif.

– J'y vais, répondit l'autre. Vous avez raison. On commence à avoir besoin des petits...

L'attaque de la tour, deux jours plus tôt, n'avait pas fait beaucoup de dégâts. Un ascenseur en rade, un mort parmi leur garde rapprochée... C'était effrayant bien sûr, pour une compagnie qui s'était promis de ne pas éveiller les soupçons trop rapidement. Bien que cela aurait put finir de manière bien plus catastrophique, et dans un soucis de manque de temps, les trois dirigeants avaient réfléchis à la question de l'étape suivante, la phase finale de l'entraînement des jeunes recrues. On leur avait promis plusieurs mois de formation, mais OCAPI était repérée, et ils n'avaient pas très envie de se laisser rattraper.

Ce qui les gênait surtout était la découverte de l'existence d'un pare feu, qui les empêchait d'agir depuis la tour. Le cheval de Troie de leurs mystérieux opposants n'avait pas été correctement dissimulé dans les entrailles de leur système informatique, et les deux hackers d'OCAPI, Nirvana et Jo27, avaient mis seulement quelque instants avant de repérer le problème. Le défaire, c'était autre chose. Toutes leurs connaissances concernant ce genre de pratiques ne leur permettaient absolument pas de tenter une quelconque désactivation de ce mur de infranchissable. Au moins, ils savaient qu'il existait, et ils agissaient donc déjà en conséquences.

Pour eux c'était tout de même une menace de taille. On les avait découvert, on connaissait leur potentielle puissance de feu et on œuvrait déjà pour les neutraliser. Tout était clair. Il leur fallait accélérer le processus à présent, que leurs jeunes étudiants rejoignent les rangs des nombreux agents afin que l'infection se propage encore plus rapidement. Le monde était vaste, bien trop vaste pour eux, et sans l'aide des petits nouveaux, le virus n'allait jamais se propager dans le globe entier à temps.

Ils étaient les plus forts, ils avaient le pouvoir de changer le monde à jamais, et en plus de ça ils détenaient encore un effet de surprise important. Néanmoins, il fallait passer à la vitesse supérieure. Le risque de se faire stopper net était encore trop grand, et certains étaient déjà à leurs trousses.

Raph descendit les marches des escaliers quatre à quatre, bouillant d'une énergie nouvelle, presque psychotique. Son costume noir flottait derrière lui en saccade, et ses souliers vernis claquaient sur le sol impeccable. Le jeune patron sentait grandir en lui une sorte d'excitation exacerbée, sans doute justifiée par ce qu'il s'apprêtait à déclencher, et sa course se faisait de plus en plus folle à mesure qu'il approchait de l'étage des agents informatiques.

Ce jour là, transparaissait une tension importante dans le comportement de tous les membres de l'OCAPI. Il avait été annoncé le matin par la direction, que la phase numéro deux du grand projet pouvait être entamée dans les heures qui arrivaient, et chacun se tenait près à agir, vacant entre les bureaux, les couloirs et les ordinateurs. D'après le trio directeur d'OCAPI, toutes les actions de la compagnie avaient été placées sous surveillance, et une discrétion informatique totale était de rigueur.

De plus, le mur offensif virtuel empêchant tout contrôle des virus à distance obligeait l'équipe à préparer un déménagement temporaire, concernant l'exécution de la phase deux. Il allait falloir se disperser, quitter la tour, chacun avec son ordinateur personnel et aller se cacher dans tous les coins de la ville afin de maximiser les chances de réussite de la mission. Le projet était le suivant : Envoyer les recrues aux quatre coins de Nantes afin de les faire travailler sur leur toute première manipulation du virus. Apprendre à placer la bombe devant les failles de sécurité et enchaîner le plus possible d'attaques avant la fin de la journée. Tout en dissimulant bien évidement cela sous le couvert d'un exercice destiné à avertir les sociétés de leur vulnérabilité. Le trio ne le savait que trop bien ; des jeunes sans expérience n'adhéreraient jamais à une politique agressive visant la destruction de la technologie mondiale. Il fallait faire avec, et dans ce genre de cas de figure, le mensonge est toujours un très bon allié.

La compagnie entière attendait l'ordre de lancer la mission, et lorsque Raph déboula dans le hall, tous surent instantanément que la trêve était terminée.

– Rassemblez vos affaires ! Cria ce dernier en parcourant la foule. Je répète les instructions ! Chaque nouveau doit être pris en charge par un tuteur et se faire accompagner jusqu'à son lieu d'opération !

Il y eut un bruit bourdonnant qui se leva soudain et se propagea dans les couloirs bondés de monde. Le chrono était en marche. Le temps était compté, et la mission devenait l'objectif numéro un de la journée.

Les agents sortaient de partout, marchant vite, portant à la main les mallettes contenant leurs précieux ordinateurs. C'était comme si d'un seul coup la tanière endormie de l'ours OCAPI s'était changée en une ruche fourmillante d'abeilles ouvrières affamées d'action et de victoire.

Noé leva les yeux de son écran lorsqu'il sentit autour de lui les gens commencer à s'activer de plus en plus. Il lui semblait avoir entendu une voix autoritaire résonner au loin, au fin fond d'un couloir, et il se demanda si lui aussi était concerné par le raffut général.

Et puis soudain, il sentit sur son épaule un main assurée se poser doucement, et un brutal frisson le parcouru. Un homme se tenait derrière lui. Un homme vêtu d'un costume sombre et qui arborait le même visage calme et réfléchi que le reste des agents. Et dans ses yeux, lorsqu'il se retourna pour le dévisager, Noé perçut presque un triste air de pitié, briller au fond de ses sombres pupilles.

L'homme en noir prononça quelque mots. Une simple phrase, brève et pleine d'autorité. Un ordre qui fit savoir à Noé que désormais, s'en était finis des cours et de la vie paisible qu'il avait mené dans la tour.

– Fais tes bagages petit, tu es avec moi.

Son tour de jeu venait de commencer, et il avait hâte de faire ses preuves.

NIRVANA [ EN PAUSE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant