Noé Lermond, vingt et un ans, jeune homme brun aux yeux verts, tira une longue bouffée lasse de la cigarette brune qu'il tenait entre les doigts. "Maudits soient les connards qui critiquent cette noble activité" pensa-t-il. La pause clope était pour lui et ses amis le seul moment d'extase quotidien, et il comptait bien la garder. Il souffla devant lui son nuage gris et savoura l'instant en regardant les poussières se disperser dans l'air tiède de ce début d'automne. Il s'ennuyait clairement.
- Et tu l'as eu ?
- Non, fit Noé.
Ils étaient cinq jeunes hommes, assis sur un banc de bois sale devant le centre commercial du quartier. Habillés de noir et de gris, tous de survêts Adidas à bas prix, ce n'est pas eux que l'on aurait demandé pour un défilé de mode mondain.
- Pas assez qualifié ils ont dit.
Son ami Jimmy laissa échapper un gloussement de mépris.
- Ouais, on connaît.
Noé avait décroché il y a un an de là un petit boulot dans un bar du quartier, un emploi qu'il ne pouvait que considérer comme un job de passage. En effet, malgré tous les avantages que ce travail lui apportait, la paye ne permettait pas de combler les fins de mois. Il lui fallait trouver une grosse boite qui veuille bien de lui et de sa pauvre licence en informatique, malheureusement, son dernier entretient d'embauche s'avérait bredouille.
Jimmy se leva du banc et fit sauter un ballon de foot sur la pointe de ses pieds. "Le drible" comme il disait souvent avec ironie, "c'est le mélange parfait du sport et de la maitrise de la force jedi". Jimmy avait vingt-trois ans. Métisse aux yeux étrangement bleus, il vivait seul dans une tour en bordure de Malakoff.
- Demain soir, vingt et une heure, Crappa, qui vient ? Demanda calmement Jimmy, les yeux toujours rivés sur le ballon quadrillé.
Tous acceptèrent le rendez vous sans broncher. Aucun n'avait d'empêchement. De toute façon, qui est occupé un vendredi soir, à part un trader New-yorkais milliardaire ?
Le Crappa était un parc vert situé sur l'aile Est de l'île de Nantes. Le petit groupe avait l'habitude de s'y voir pour terminer en beauté la semaine de travail. Des pelouses verdoyantes aux sous-bois lugubres, l'endroit était un lieu de rendez vous idéal pour tout type de personnes. Certains le considéraient comme un espace familial, d'autres le craignaient pour sa réputation de parc mal famé et de place de commerce pour les dealers du coin. Les ragots disaient même que sous le vieux pont ferroviaire servant aux trains de marchandises, les plus étranges organisaient des combats nocturnes de chiens, de quoi effrayer les plus aventureux. Enfin, c'était là que Jimmy et sa bande passaient leurs soirées arrosées du week-end.
Un peu plus loin près de l'arrêt de bus, une voiture s'arrêta brusquement ; Une Mercedes noire flambant neuve, du genre classe et agressive, le genre que James bond adore balancer du haut des falaises. La bande leva les yeux vers le véhicule atypique, interloquée de voir un tel spécimen stationner dans le quartier. La portière s'ouvrit presque instantanément en laissant apparaître un homme de grande taille vêtu d'un costard bleu sombre, et comme s'il connaissait déjà trop bien le chemin, il n'hésita pas une seconde et marcha de manière déterminée droit sur le banc de bois.
- Qui c'est celui là ? Marmonna rageusement un des gars de la bande.
- 'Chais pas, mais soyez classe les amis, soyez classe, c'est pas tout les jours qu'on reçoit un clown pareil, ria doucement Noé en regardant l'homme s'approcher à grands pas.
Celui-ci, arrivé à leur hauteur, scruta quelque instants les visages méfiants puis détonna d'une voix assurée :
- Bon ! Chers amis, commençons... Je m'appelle Jacques Parquant, et la chose qui devrait vous intéresser est que je travaille pour OCAPI.
Jacques fit une courte pause afin d'observer l'effet qu'il faisait dans la bande. Rien, aucun effet, bon tant pis, il continua pourtant :
- OCAPI est une organisation jeune, je comprends que vous puissiez ne pas en avoir entendu parler. Enfin bon je ne viens pas pour ça mais pour vous présenter l'opportunité de rejoindre notre formation en informatique.
Là non plus, les gars ne bougèrent pas.
- C'est une formation courte et gratuite qui vous permettra vite de vous intégrer au sein de l'entreprise. Voilà le formulaire, c'est clair, c'est simple, vous s...
- Wow ! On se calme direct, ricana Jim. Tu sors de nulle part, tu viens, tu nous parle comme si tu faisais l'aumône et tu cherches à nous faire signer ton papier ? D'où tu veux qu'on te fasse confiance ?
La main de Noé se posa sur son épaule.
- T'en fais pas mec, signent seulement ceux qui veulent.
Jimmy recula d'un pas et Noé reprit :
- Maintenant, qui veux signer ?
Sans grande surprise, aucune main ne se leva, et un silence pesant régna quelque secondes autour du banc de bois. Jimmy jeta un regard autour de lui puis il fixa Jacques avec un mince sourire au lèvres.
- Désolé vieux, très peu pour nous les trucs de geeks, par contre si tu veux un conseil, tu vas dans le super marché derrière, tu demande à la caisse de te passer le micro et tu répète exactement ce que tu viens de nous dire, je suis sûr ça va être géant.
Noé se leva pourtant et vint prendre un papier des mains de l'homme au costard.
- Formation en sécurité informatique... C'est trois mois de formation... Moi qui m'étais juré de quitter les amphis pour toujours.
- Tu marche dedans ? Sérieux Noé ? S'enquit Jimmy brusquement.
- J'ai besoin de bouger du bar de toute façon.
Noé détourna les yeux choqués de son ami, un peu honteux.
- Mec...
Jacques Parquant ne bougeait pas, les papiers restants dans les mains, il observait Noé avec un nouveau regard, un mélange subtile de contentement et de méfiance.
- Mais tu lui fais confiance à ce gars ? Continua Jim.
- Il faut, je manque de tunes en ce moment.
L'autre resta un moment pensif ; La faim justifie les moyens, Jimmy ne le savait que trop bien, et il fit lentement rouler la balle sous sa chaussure.
- Toi, Jacques le riche, tu te barres, Noé on discute, et tu signes si tu veux avant midi demain, sur ce banc, ça marche ?
Jacques sourit et acquiesça respectueusement. Après avoir jeté un rapide coup d'œil à Noé dont les yeux étaient encore rivés sur le formulaire, il tourna vivement les talons, et en moins d'une dizaine de secondes, il avait disparu dans un vrombissement sourd.
Il était presque treize heures, et à la grande détresse de toute la bande, la pose touchait dangereusement à sa fin. Le ciel se couvrait de nuages gris, et la température chutait avec. Un des gars se leva, serra les mains de leur check habituel, et partit, capuche mise et tête basse.
Noé écrasa son mégot sous sa chaussure en regardant Anis quitter la place.
- Faut que tu comprennes un truc, mec... Fit gravement Jimmy. Si tu pars... Je pars.
Noé le regarda avec un large sourire.
- Dans ce cas ramène toi demain midi, ici.
Jimmy resta muet une seconde, puis esquissa un brin de sourire et vint amicalement frapper son ami à la poitrine.
- Demain midi, ici, répéta-t-il solennellement.
Noé plia délicatement le formulaire et le rangea dans une poche de son sweat. Lui aussi il quitta le banc et les quelque gars qui y restaient assis. Ceux-ci le regardèrent s'éloigner lentement vers une rue adjacente.
Jimmy s'affaissa sur les planches de bois brunes en soupirant.
- Tu pars vraiment avec lui ? S'enquit l'un des gars.
Jimmy regarda ses chaussures, et le ballon qui faisait l'ascenseur entre les deux.
- En vrai, être boulanger... Ça pue grave.
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NIRVANA [ EN PAUSE ]
Science-FictionDans un futur proche, deux amis ont mis au point un moyen de détruire à distance n'importe quel objet technologique. Une sorte de virus, de bombe à retardement pouvant s'installer dans les ordinateurs ou objets connectés afin de griller les circuits...