13 | Au dessus des flots

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– Vous êtes en retard mademoiselle, fit l'hôtesse de sa voix mielleuse. Dépêchez-vous de vous asseoir.

Sophie scruta les rangs de ses un mètre soixante-dix et fit rouler sa lourde valise dans l'allée molletonnée de l'avion. Il n'y avait peu de monde aujourd'hui, et elle n'eut aucun mal à repérer la jolie blonde assise nonchalamment dans son siège, des écouteurs dans les oreilles. Sophie fut rassurée de la voir ici. Il y a quelque jours les deux filles ne s'étaient encore jamais croisées, et pourtant aujourd'hui elle ressentait déjà en sa présence le plaisir de retrouver une vielle amie. Peut-être que l'actualité la rendait plus sensible. Elle ne savait pas vraiment.

Quand elle arriva à sa hauteur, les yeux de la jeune Lea s'illuminèrent soudain.

– Je savais que tu allais venir ! Se réjouit-elle en retirant ses oreillettes. Ça va pour le retard ? Ils t'ont pas emmerdé à l'aéroport ?

L'autre secoua vivement la tête, commençant à s'asseoir, et prit plaisir à s'enfoncer dans le confortable siège matelassé.

– Jamais été en première classe. C'est tellement le rêve...

– T'as vu ça ! Wow je suis trop excitée, faut que je me calme... S'exclama Lea s'agitant dans tous les sens.

De toute évidence, Lea n'avait pas vécu d'expériences exaltantes depuis un bout de temps. Se trémoussant de tous les côtés, riant aux éclats au plus grand bonheur du reste des passagers, elle était absolument intenable et Sophie ne reconnut pas la jeune fille sérieuse qu'elle avait rencontré à Londres deux jours plus tôt.

L'avion avait décollé depuis. Et par les hublots, défilaient à présent les décors de la capitale britannique, s'éloignant petit à petit comme sous un filtre de couleurs grisonnantes.

Lea s'arrêta soudain de parler lorsqu'elle réalisa que les immeubles en dessous d'elle tenaient déjà entre son pouce et son index. Ce qui la fascinait avec les vols en avion, c'était de sentir cet objet monumentale se faire miraculeusement porter jusqu'au dessus des nuages. Sentir que quelque chose d'aussi léger que l'air pouvait soulever l'équivalent d'une montagne. C'était beau, cependant elle avait du mal à réaliser concrètement comment cela pouvait se produire. Le principe et les livres scientifiques qui expliquaient ce phénomène restaient compréhensibles, mais lorsqu'elle se retrouvait sagement assise et que cette force colossale venait la pousser dans le ciel, tout cela dépassait de loin sa représentation des lois de la physique Newtonienne, et elle avait alors l'agréable impression d'être à bord d'une gigantesque licorne magique.

– Ben oui je suis conne, je pourrais pas acheter mon T-Shirt, s'écria Lea soudain. Y a pas internet ici.

– Pardon ?

– Rien, fais pas attention.

Et elle lui jeta un tendre sourire.

– Je t'aime bien tu sais, Sophie.

Au plafond de la longue et large cabine climatisée trônaient de doux spots aux couleurs orangées, et il régnait partout une ambiance feutrée caractéristique d'un voyage de première classe. Au dos des fauteuils beiges, les petits écrans télévisés haute définition attendaient d'être allumés tandis que la vielle dame du troisième rang tentait désespérément d'en dénicher l'interrupteur. La plupart des passagers s'étaient équipés de leur habituels casques audio afin de faire abstraction du faible vrombissement de l'avion, et il régnait un calme intriguant, souvent entrecoupé par les gloussements de Lea, assise tout au fond.

Les hôtesses, grandes dames droites et élégantes, passaient dans les rangs avec leurs sourires faussés et leurs plateaux garnis de compléments alléchants. Sophie se demandait toujours si c'était la passion du voyage ou l'uniforme bleu marine qui les avait poussé à choisir ce métier. Passer sa vie dans l'allée d'un avion, quel ennui, se disait-elle en les regardant aller et venir près de son siège. Et elle continuait de rêvasser.

La pauvre libraire, par ses questionnements et réflexions en tout genre, essayait tant bien que mal de ne pas penser à son deuil pour son frère. Sentant chaque seconde peser en elle le poids déchirant de la perte de Vincent, elle vivait sans savoir comment étancher cette douleur qui ne cessait de la tirailler jour et nuit. La mort est une horrible chose à accepter. Mais la haine, plus que tout, rends le repos impossible. Et Sophie ne comptait plus les heures passées dans son lit, seule, à ne pas trouver le sommeil.

– C'est Marie, fit Lea plongé dans l'examen de son téléphone satellite. Elle a envoyé un message. La première bonne nouvelle c'est qu'ils ont des infos sûres au niveau de la localisation du pirate. La deuxième, c'est que grâce au succès de leur dernière mission ils ont pu installer un pare feu autour du système informatique. La mauvaise nouvelle par contre, c'est qu'il n'est pas tout seul.

– Qui ça ?

– Le pirate.

Elle se douta que son explication n'était pas des plus claires. Des paroles vives, des mots jetés les uns après les autres, on la trouvait souvent trop rapide quant à son style d'argumentation. Alors, prenant ses précautions, Lea ajouta dans un souffle:

– A vrai dire, ce n'est pas un pirate... C'est une compagnie toute entière.

Sa voisine, sous le choc et l'incompréhension, demeura silencieuse.

– Ils ont détecté plusieurs centaines de machines en marche. Dingue non ? Fit la blonde toujours scotchée sur l'écran de son portable.

Une compagnie ? Sophie ne comprenait pas. Une entreprise qui se mettait en tête de détruire une clinique ? Dans quel monde vivait-on à présent ? De nulle part, les frissons qui l'avaient parcouru lors du drame, se remirent à œuvrer, et Sophie sentit un courant d'air glacé lui parcourir le corps. Non, il ne fallait pas. Ce n'était plus l'heure de faire sa victime. Il était temps de riposter. C'était pour cela qu'elle se trouvait aujourd'hui dans cet avion ; Faire payer à ces chiens la mort de son petit frère innocent.

– Comment on va faire pour les arrêter, se lamenta-t-elle tremblante.

Lea réfléchit un moment. Les yeux fixant un point au loin, sourcils froncés. La tension faisait remonter d'un seul coup la guerrière qu'elle avait toujours été. Sa voix se calma. Son corps sembla se figer soudain et son être tout entier répandit dans l'air une aura majestueuse emplie de sagesse et de courage.

– Y a pas beaucoup d'options, répondit elle. En considérant que les autorités ne doivent absolument pas entrer en jeu et qu'on continue à œuvrer dans l'ombre pour éviter un possible désastre mondial, il faut considérer mettre hors d'état de nuire toutes leurs machines. Et je parle pas de mur défensif cette fois, il faut ne rien laisser, vraiment.

– Tu crois qu'on peux faire ça à distance ?

– Peut-être. Il faut tenter de toute façon sinon on peux toujours courir.

Puis elle ajouta avec un triste sourire :

– Mais ne t'inquiète pas pour ça, si vraiment y a pas moyen de les avoir de loin, on a toujours la possibilité de le faire sur le terrain.

Et Lea lui tendit précieusement une petite clé USB qui n'avait pas l'air de valoir grand chose. Sophie regarda l'objet sans trop comprendre.

– Une clé Killer, ça s'appelle, ça te détruit n'importe qu'elle machine sous tension dotée d'un port USB. C'est le genre de truc qu'il ne vaut mieux pas laisser traîner près d'un ordi, tu feras gaffe.

– Mais... Si avec ça on peux tout détruire nous aussi...

Lea sourit tristement et regarda sa voisine avec un air désolé.

– Sophie... Pour attaquer il faut brancher ça dans toutes les machines les unes après les autres, c'est absolument pas pratique. En face ils ont la capacité d'incendier le monde en un clic depuis leur canapé.

La jeune brune fit tourner les idées dans sa tête sans vraiment réaliser ce que venait de lui annoncer Lea.

– Les autres t'expliquerons mieux que moi. T'en fais pas va. On va pouvoir arrêter ça...

Et Sophie leva la tête vers le plafond, fixant les lampes jaunes au dessus d'elle de ses yeux vagues et mouillés de larmes. Elle sentait les vibrations sous son siège. Elle sentait les regards de pitié de Lea assise à côté d'elle. Elle sentait l'avion l'emmener au loin dans un endroit qu'elle ne connaissait pas. Des images tourbillonnaient dans sa tête. Dans quel monde avait-elle mis les pieds ?

NIRVANA [ EN PAUSE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant