4 | En chemin vers la tour

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Devant cette interrogation et ce menton levé vers eux, les deux gars se concertèrent quelque secondes.

- Tu signes ? Demanda rapidement Jimmy. Vu que tu réponds pas aux sms, je vis dans l'incertitude, mon pote.

- Bien sûr que je signe, répondit vivement son ami. C'est fou ce qu'il nous propose ce gars là.

- Ça marche, mais vu que tu joues solo depuis deux jours j'ai le droit de poser une condition.

Noé le dévisagea, inquiet.

- Vas-y ?

- Alors voila, on se sépare pas, on se quitte pas même si il le faut, on s'arrange pour rester ensemble coûte que coûte là-bas.

Noé sourit tendrement. Il était amplement soulagé par la demande de son ami. Son espoir était dans OCAPI, son futur était chez OCAPI, et puis par dessus tout, il détestait les conditions de dernière minute, ça partait toujours en baston c'est trucs la. Enfin justement, pour une fois, Jim n'avait pas fait le chieur et son pote n'aurait normalement pas de difficulté à honorer sa promesse.

- Tu deviens sentimental mon vieux, ricana Noé.

L'autre feinta un uppercut dans sa direction. Sans surprise aucune, Jimmy n'aimait guère les compliments de ce genre.

- Chuis chaud, chuis chaud mec fais gaffe...

- On signe, ouais, fit Noé en se tournant vers Jacques.

Celui-ci qui avait commencé a pianoter sur son Smartphone leva brusquement la tête d'un air radieux, et en rangeant le téléphone dans sa poche. Il en sortit deux formulaires rien que pour eux.

D'un geste rapide, les deux gars s'en emparèrent et s'assirent sur le banc afin de lire confortablement.

Jacques, pendant ce temps, regarda sa montre, puis les gars, puis sa montre, le temps lui manquait.

- Voila comment ça fonctionne chez nous, commença il. Vous signez, et directement après, nous vous emmenons visiter les locaux. Comme ça nous ne perdons pas de temps.

Les deux autres levèrent la tête et acquiescèrent.

- Seulement on vient de m'avancer un rendez vous un peu plus loin en ville, et pour tout vous dire, cela m'arrangerait que vous finissiez ça en route.

Noé plongé dans ses pensées réfléchissait à ce qu'il était entrain de vivre. Ce n'était pas qu'un simple rendez vous mais le début de son insertion dans une putain de boite géante! Jimmy lui, au contraire, pensait aux si nombreux cas d'enlèvements qui commençaient par des hameçonnages comme celui ci. "Après tout" pensa-t-il, "si on doit se faire kidnapper par des Jacques en costard, c'est que je suis peut-être le fils du président, et ça... Ça me ferait pas chier."

Les gars acceptèrent sans broncher, et les trois hommes se dirigèrent vers la voiture.

Les routes étaient presque désertes en ce samedi midi, et il fallut peu de temps au chauffeur de la Porsche noire pour filer jusqu'aux anciens chantiers navals où Jacques fit monter une jeune femme brune au teint pâle, qui ne laissa d'ailleurs paraitre aucun sourire de tout le trajet.

- J'mappelle Maya, j'ai vingt-huit ans, déclara t-elle froidement.

Jacques, qui s'était installé sur le siège avant afin de laisser les trois nouveaux occuper les trois places du fond, se retourna et tout sourire, déclara.

- Bonjour Maya, nous sommes tous ravis de t'avoir ici, l'OCAPI est impatiente de te rencontrer.

L'autre ne répondit pas et tourna lascivement vers la vitre. Encore ces paroles futiles qu'elle détestait.

Jacques eut un moment latence, mais se ressaisit immédiatement et envoya un sourire aux deux gars, sagement assis dans un silence complet.

- Au fait, qu'avez vous pensé de ma prestation d'hier, les jeunes ? Demanda-t-il frénétiquement.

Noé laissa paraitre son malaise dans une petite grimace d'inconfort.

- Apprends pas par cœur, vieux, on dirait un clown.

Jacques se retourna en marmonnant pendant que les deux autres échangeaient un sourire complice.

Dehors, la saison des feuilles mortes se faisait sentir et les arbres rougeoyaient doucement. Une fine couche de nuages clairs portée par un vent doux couvrit lentement le ciel bleu azur. La voiture passa les rails de tram et remonta la rue de Bretagne. La Tour apparut progressivement au dessus des immeubles, massive, sombre, mystérieuse.

***

Lea Talwood sourit malicieusement sous sa casquette rose saumon. Affaissée dans une chaise tressée devant "L'auberge royale", elle avait les yeux rivés sur l'ordinateur portable blanc posé sur ses genoux. Lea avait sous sa casquette "girly" des cheveux blonds platine, longs, aujourd'hui ramenés ensemble par une queue de cheval, et des yeux bleus, cible des compliments que lui faisaient les nombreux hommes qui la croisaient.

Elle venait de fêter ses dix-neuf ans le mois dernier avec quelque unes  de ses vielles amies de lycée. Jeune femme de caractère, dotée d'un grand corps athlétique pouvant faire tomber n'importe qui, Lea représentait l'idéal physique féminin, et pourtant, sa vie tournait autour de toute autre chose, l'illégalité.

Rien qu'aujourd'hui, elle avait hacké le système d'un grand magasin afin de faire prépayer à un des acheteurs le bonnet hors de prix sur lequel elle louchait depuis deux jours. Faisant passer ce transfert pour une simple augmentation du prix du produit choisit par l'inconnu à la caisse, son bonnet blanc "New York City" était acheté, il ne restait plus à Lea qu'à aller le fourrer dans son large sac à main et de passer sans encombres le portail de sécurité. Le code barre ayant été désactivé, aucune alarme ou sonnerie dérangeante n'allait faire foirer sa petite arnaque de voyou.

Lea bu la dernière gorgée du verre de coca qui se trouvait devant elle et inspira un grand coup. Ce plaisir de se savoir au dessus de tout, cette jouissance ultime de voir ses limites reculer à chaque fois plus loin...

Elle se leva, rangea son ordi dans son sac, et se dirigea vers les portes vitrées sur le trottoir d'en face. Une brune en veste bleue suivie de deux autres femmes passèrent en trombe devant elle.

- C'est partit mon kiki, ricana la grande Lea en passant les portes de Calvin Klein.

NIRVANA [ EN PAUSE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant