Ma Seconde Naissance [PAUSE]

Comme une sorte de défi et j'irai jusqu'au bout

Wuppertal (2013)

Aujourd'hui, c'est le jour J ! Nous sommes à quelques minutes de l'ouverture des portes. Des mois que j'attends ça ; presque un an déjà s'est écoulé depuis que j'ai réussi à me procurer ma place et celle de June. Et ce n'était pas une mince affaire, comme toujours pour Indo ! Et puis, ce concert, il arrive tellement au bon moment ; juste après la session d'examen, rien de tel pour décompresser.

Il n'est pas loin de dix-huit heures trente ; nous devrions donc bientôt entrer dans la salle. Et c'est là qu'il faut s'accrocher ! D'ailleurs, on peut déjà sentir la foule se resserrer, s'agiter encore plus. Mon corps se prépare déjà, il se tend, se redresse.

Des personnes de la sécurité viennent à plusieurs reprises nous rappeler fermement de ne pas courir à l'ouverture des portes, sinon « nous bloquerons tout ». Ça se voit tant que ça, qu'on est surexcité ? En tout cas, le message se veut clair. Pourtant, je ne sais pas si je pourrais retenir mon besoin de courir, tout comme la grande majorité des fans ici présents. Parce que nous voulons tous être au plus près de la scène, au plus près du groupe. Nous cherchons tous cette proximité physique pour ressentir les choses plus intensément encore. C'est pour cette raison que nous avons décidé d'attendre depuis midi. Alors qu'il ne fait pas loin de 30°C et que l'air est profondément étouffant. Les coups de soleil commencent déjà à provoquer ces picotements désagréables ; c'est mon drapeau aux couleurs de l'arc-en-ciel sur les épaules que je tente de couvrir les parties de mon corps que mes vêtements laissent apparaître. Mais qu'importe ces conditions, nous savons tous pourquoi nous sommes ici.

Et là, je sens l'excitation, mêlée à l'angoisse, monter en moi. Comme si quelque chose de vital allait se jouer, là, très bientôt. Mais, au fond, je crois que c'est un peu le cas. Parce que c'est bien plus qu'un concert qui va avoir lieu ce soir. C'est surtout une bouffée d'oxygène incroyable, je le sais d'avance.

Les personnes qui vont nous fouiller sont déjà en place, il est 18h30 tapante et je ne peux m'empêcher de gigoter bêtement dans tous les sens. J'allume l'écran de mon portable toutes les dix secondes, comme si ce geste obsessionnel allait accélérer le temps. Trop de tension en moi ; il faut que les portes s'ouvrent, je ne tiens plus.

Et comme si quelqu'un m'avait entendu, les lourdes portent métalliques s'ouvrent enfin. Je m'agrippe instantanément à June pour que le mouvement de foule ne nous sépare pas. Sans elle, je serai perdue dans cette salle immense. Et sans elle, un concert d'Indochine ne serait pas si exceptionnel.

Les fans passent les portes, un par un, sans trop de bousculade, finalement. Plus de peur que de mal. Les personnes de la sécurité rappellent à l'ordre ceux qui courent malgré l'avertissement. Je me tends immédiatement, de peur qu'ils stoppent tout, comme ils l'avaient annoncé.

Tout se resserre autour de moi, je sens que ça pousse derrière moi et sur les côtés. Mais très vite, nous arrivons aux portes. Et là, alors que ça va être à moi, je me dis « Mais merde, dans quelle file je dois aller ? Garçon... ou fille ? »

Sans y réfléchir plus longuement, je me retrouve dans dans celle des femmes. Je ne sais pas ce qui m'y a emmené – mon inconscient ou autre – mais m'y voilà. Peut-être encore ce foutu manque de légitimité.

La femme passe ses mains sur mon corps, mes hanches, le bas de mon dos, pendant que June est déjà en train de se faire scanner son ticket. J'essaye de ne pas penser à ce qu'il se passe, au fait que je suis pris pour une femme, qu'elle sent un corps de femme. Et me voilà parti dans une réflexion, toujours ces réflexions qui m'empêchent d'entrer dans une énième crise de panique, comme un moyen de me déconnecter du réel pour mieux le supporter : j'ai toujours trouvé ça étrange que les femmes devaient être fouillées par des femmes, et pareil pour les hommes. Si c'est dans le but d'éviter toute forme d'ambiguïté entre la personne qui fouille et la personne fouillée, c'est qu'on oublie, encore une fois, que certains corps féminins aiment se faire caresser par d'autres corps féminins. Mais bon, c'est encore l'éternel débat de l'identité de genre et de l'orientation sexuelle.