Sky, I'm gonna leave tonight

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Pink Water 2 (2005)

Lorsque je jette un coup d'œil à mon réveil, je me demande si le temps ne s'est pas arrêté. C'est ce que l'on dit lorsque l'amour n'est plus, que l'on est seul, loin de l'être cher. Après avoir frotté mes yeux pour tenter de voir à travers ces larmes qui m'octroient encore la vue, je me rends compte qu'il est 4h02. Je décide alors de sortir de mon lit. À quoi bon rester allongée ici, à ressasser sans cesse les mêmes phrases qui sont déjà des souvenirs ?

J'emporte la bouilloire jusqu'à mon évier et la remplie d'eau. Mes gestes sont mécaniques, mais qu'importe, je n'ai plus d'amour à mettre dans mes mouvements. Pendant que l'eau chauffe, je m'empare du thé qui se trouve juste à côté ; l'avantage d'une chambre étudiante est que tout se trouve à proximité. Mes mains, trop fatiguées, font tomber le sachet. Les feuilles de thé se répandent sur tout le sol de ma petite cuisine. Débile va ! Je peste violemment contre moi-même avant de jeter mon point en direction de mon frigo.

Une énergie incroyable sort alors de moi. Où était-elle cachée ? Pourquoi a t-il fallu qu'elle sorte maintenant ? Et de cette manière ? Je regrette immédiatement mon geste de peur d'avoir achevé ce pauvre mobilier qui commence à dater.

Au bout de quelques minutes je suppose, je me dis que mon thé doit être suffisamment infusé. Mes mains s'emparent de la tasse brûlante, mon corps déambule jusqu'à mon bureau qui me sert de table et mes jambes se plient pour asseoir mes fesses sur la seule chaise qu'il y a. Face au mur, le regard dans le vide, mes mains entourent toujours mon mug, mug à l'effigie de mon héros. Ici, Nicola est partout. On peut voir un Nicola très jeune, à ses débuts. Ces photos de lui me rappellent que lui aussi s'est retrouvé face à des gens qui l'ont dénigré, qui lui ont ri au nez. Et, pourtant, il s'est battu, il a cru en lui, en ses idées, en Indochine, et est arrivé là où il en est aujourd'hui, c'est-à-dire au sommet. Tout là-haut, me dis-je à moi-même en pointant du doigt le plafond, le ciel, ou toute autre chose ce qui se trouve au-dessus de moi.

Habituellement, cette pensée me donne un coup de boost incroyable. Ce soir, alors même que mon regard est toujours orienté quelque part vers le plafond jauni, elle fait couler encore plus mes larmes. Parce que, cette fois-ci, je le sais, je n'aurais pas cette force de me battre. Car j'ai définitivement perdu Mél. Et ça, je le sais aussi, tout simplement parce que depuis que je m'en suis allé de chez elle hier soir, c'est silence radio entre elle et moi. Rien. Nada. Pas même un message. Moi, je ne sais pas quoi lui dire. Et elle, ne semble pas s'inquiéter de l'état dans lequel je me trouve. Mais, après notre conversation, je doute que cela lui importe, en réalité.

Toute la nuit, j'ai repassé en boucle ces mots qui me sont si douloureux, si destructeurs. Ils me paraissent encore surréalistes. D'abord, je me dis que Mél n'a pas pu me dire ces atrocités. Non, j'ai du mal comprendre. Elle a dû mal interpréter ce que je lui ai expliqué. Puis, rapidement, la réalité me fait l'effet d'un boomerang : ses mots reprennent place au sein de ma mémoire et je la revois, face à moi, avec ce regard qui laisse transparaître son dégoût. Son dégoût pour moi. Et ça, je ne peux le nier. Son visage, ainsi que ses mots, sont bien réels. Aucune interprétation n'est possible. Non, je ne peux pas lui trouver d'excuse. Je ne peux pas me mentir à moi-même et me convaincre d'une éventuelle incompréhension. Elle a dit clairement ce qu'elle pensait de ce que je vis, de moi. Je me demande simplement comment il est possible de dire de telles choses à une personne que l'on dit aimer ? Mais comment, putain ?

Un tas d'idées, toutes aussi glauques les unes que les autres, me viennent soudainement en tête : me renverser ce liquide brûlant sur moi, pincer mon nez de ma main droite et plaquer l'autre sur ma bouche jusqu'à l'asphyxie, ou encore, attraper le grand couteau qui me sert d'habitude à préparer mes plats préférés et me le planter, juste là, en plein cœur.

Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ?

Une mélodie émerge dans mon esprit. Les premières notes jouées au piano. Celles de « Pink Water ». Les paroles me parviennent enfin. Des paroles si justes, qui arrivent au bon moment. Je trouve ça fascinant, le cerveau humain. Je ne sais qui ou quoi est responsable de ce miracle – peut-être est-ce ça, l'inconscient ?

I can't decide if I'm the one you need

Or what you want out of life

I always thought you'd be the one to leave

The one to change your mind

Toujours de manière automatique, je prends mon portable et compose un numéro. Celui de June. Alors que j'entends les bip, signe que son portable est bien en train de sonner, je me demande si je ne vais pas raccrocher et trouver une excuse bidon pour expliquer mon appel.

« Hey ma belle. Comment tu vas ? J'espère que tu vas enfin lâcher le morceau et me parler de ce truc super important que t'as évoqué vite fait hier dans ton message », débite t-elle avant de se rendre compte que je ne parle pas au bout du fil.

Et, alors qu'un silence angoissant s'établit et s'étire, je fonds en sanglots. Pour la énième fois depuis hier soir. Je tente d'expliquer la situation à June, allant de ma révélation à ma solitude, en passant par les mots prononcés par celle que je considérais comme l'amour de ma vie. Mais je pleure tellement que les phrases que je prononce sont incompréhensibles. June ne doit capter que quelques blocs de mots. Peut-être les plus importants, comme « trans », « c'est pas normal », « c'est débile », « tu peux te faire soigner ». Ou alors, seuls ceux sans importance lui parviennent.

Et je sens, malgré mon état de désordre interne – quel bel euphémisme –, que June est désorientée. En dépit de la distance qui nous sépare, je sais qu'elle se sent mal pour moi, qu'elle s'en veut d'être partie si loin, de m'avoir abandonnée comme elle le répète bien trop souvent. Elle n'a pas compris qu'elle n'a rien à me devoir, qu'elle doit faire sa vie et vivre son rêve. Mais sa culpabilité est bien là. Sa voix est plus faible qu'à son habitude, elle est légèrement cassée et hésitante.

Elle me demande de respirer calmement. Je m'exécute sans broncher, comme rassurée qu'elle soit enfin là à me conseiller, comme sa petite protégée, comme elle aime si bien m'appeler. Et, presque instantanément, mon rythme cardiaque ralenti.

« Explique-moi maintenant, reprend t-elle. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Je ne sais pas par où commencer. Je l'averti que mes propos seront sans doute complètement désorganisés, presque incohérents. Pour la deuxième fois, je réexplique ce que m'a dit Mél la veille, mais plus brièvement cette fois-ci. Les mots sont trop douloureux à répéter. Trop difficiles à intégrer. Je lui explique l'opposition, le rejet, l'abandon. Je lui parle des insultes, de mon départ précipité, puis de mon état de confusion total.

Elle me demande ce que j'ai avoué à Mél pour qu'elle puisse réagir comme ça. Je prends alors conscience que je ne l'ai pas encore dit à June. Et, immédiatement, mon corps se redresse. Comment va t-elle réagir ? Je suis persuadé qu'elle comprendra, pourtant, une petite voix, au fond de moi, me rappelle que j'avais aussi cette certitude avec Mél. Là, je ne peux pas me permettre de me tromper, pas une fois de plus. Pas une fois de trop. Parce que si je perds June, je me perds définitivement.

Mais elle insiste, elle m'incite à parler. À me livrer. À me confier. Elle doit sentir que je ne vais pas bien du tout. Elle me rassure et m'assure qu'elle n'est pas comme Mél.

Je me sens fragile, fragilisé, alors j'avoue. Comme ça. Je ne sais pas exactement quels mots j'emploie, ou au contraire, ceux je n'utilise pas.

Ce que je sais simplement, c'est que June est toujours là, qu'elle ne m'a pas laissé tomber car je l'entends me dire « je t'aimerais toujours, peu importe ce qu'il peut se passer, peu importe que l'on t'appelle Axelle ou Jean-Pierre ».

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant