La machine à rattraper le temps (1987)
Très rapidement, j'ai voulu remettre cette après-midi passée avec Mél. Recommencer, encore et encore. En fait, le contact de sa main dans la mienne a été le déclic. C'est fou comme un geste presque insignifiant peu révéler d'aussi grands désirs.
J'ai proposé à Mél de nous revoir dès le lendemain pendant la pause de midi. Pour la première depuis un moment, nous étions réunies toutes les trois avec Léa. Elle est de moins en moins souvent avec nous depuis qu'elle a changé de filière. Avant, nous étions toutes sur le même campus universitaire ; maintenant, Léa s'est réorientée en médecine, carrément dans une autre ville. Alors, même si nous avons tenté plusieurs fois de nous retrouver, nous n'y étions pas parvenues jusqu'à ce jour ! Ces retrouvailles nous ont fait beaucoup de bien ; ça nous avait manqué. Léa a du partir avant le dessert s'excusant mille fois. « Les cours m'appellent » a-t-elle expliqué, tristement.
Une fois seule avec Mél, je me suis légèrement penchée vers elle pour lui murmurer « On se revoit cette semaine ? C'était sympa hier ».
Elle a immédiatement accepté, accompagnant la parole d'un immense sourire. La voir ainsi me rend tellement heureuse parce que je sais que je suis à l'origine de ce visage illuminé.
Cette fois, je l'ai invitée chez moi, étant donné que les degrés commencent à franchement baisser. Je lui ai expliqué que je ne vivais que dans une toute petite chambre d'étudiant, que ce n'était pas le grand luxe, que c'était loin d'être un super endroit. Elle m'a interrompue immédiatement en me rappelant que le principal, pour elle, est d'être auprès de moi. Peu importe le lieu. Et, tout à l'heure, lorsqu'elle est arrivée, je n'ai effectivement pas lu de pitié dans ses yeux. Au contraire, j'ai même l'impression qu'elle s'y est aussitôt sentie à l'aise.
À défaut d'avoir un canapé, nous nous installons donc sur mon lit défait, nos tasses à la main tout juste préparées : du café pour elle, du thé pour moi. Mél s'adosse contre un des murs qui encadrent mon lit. Nous restons silencieuse un moment et j'en profite pour goûter ce nouveau thé que je me suis achetée hier. Le liquide qui coule dans ma gorge me réchauffe immédiatement autant qu'il m'apaise. C'est délicieux.
Mél finit son café d'un trait, pendant que moi, je suis encore avec mon demi-litre entre les mains. Elle pose sa tasse à côté de mon lit et me lance :
« Tiens, j'ai envie de rire un peu. Dis-moi quelque chose sur toi que personne ne sait.
— Waw ! Euh... que personne ne sait..., répété-je comme pour envoyer l'information à mon cerveau.
— Oui, tu as forcément des petits secrets, des trucs qui te sont arrivés et dont tu as un peu honte, se plait-elle à détailler.
— Bon... alors... quand j'étais petite, on devait apprendre une poésie à l'école et je ne l'avais pas fait. C'était la seule fois ! Et quand la maîtresse m'a appelée pour que j'aille au tableau, devant toute la classe, réciter ce poème, je... je me suis pissée dessus tellement j'avais peur, avoué-je avec une once de honte, tout en souriant malgré tout à l'idée de commencer ce jeu.
— Ouais, pas mal, c'est assez moche.
— Ah oui, je peux t'assurer que j'étais pas bien du tout à l'époque, confirmé-je en me détendant enfin. À toi maintenant ! la défié-je à mon tour.
— Alors, je me souviens du premier jour du brevet, j'ai été traumatisée, je crois. L'épreuve venait juste de commencer et je sentais qu'il se passait quelque chose de... de pas normal... ici, m'explique-t-elle en montrant son entre-jambes. J'ai du attendre trois heures avant de pouvoir aller aux toilettes. C'est là où je suis devenue une vraie femme, comme on dit.
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Ma Seconde Naissance [PAUSE]
General FictionAxelle, le bac fraichement obtenu, quitte tout pour s'installer dans la ville de ses rêves. Elle espère y trouver bienveillance et tolérance, conditions essentielles pour qu'elle puisse s'épanouir en tant que jeune femme homosexuelle. Alors qu'elle...