Le baiser (1990)
« Voilà mon chez-moi, s'exclame Mél en m'ouvrant la porte de son appartement, remplie de joie.
- Waw ! Mais... c'est... il est magnifique ! réussis-je à dire en entrant dans cette pièce principale qui me semble immense.
- T'as vu ça ? Je te fais une petite visite ? me demande t-elle, toute heureuse que je découvre enfin l'endroit où elle vit.
- Avec plaisir !
- Alors, derrière la bibliothèque, c'est la chambre d'Emma, ma coloc', m'informe t-elle en me montrant la partie gauche de l'appartement. Ça ne sépare pas vraiment de l'entrée, parce qu'on veut déjà voir que c'est le gros bordel là-dedans, mais bon, étant donné qu'elle n'est jamais là, ça nous suffit, dit-elle tout en zieutant au travers des livres qui occupent ce meuble sans fond. Là, c'est notre petit salon. Avec notre toute nouvelle table basse. Et notre super canapé trop confortable, ajoute-elle en se jetant dessus. Et là-bas, ma chambre, en pointant du doigt l'autre pièce entrouverte.
- Eh ben ! commenté-je en m'asseyant plus timidement qu'elle sur le canapé. Tu l'as vraiment super bien trouvé cet appart, franchement ! ajouté-je en observant le reste de la pièce. Et super bien décoré !
- Franchement ? Ouais ! confirme t-elle. Les briques sur le mur étaient déjà là quand on est arrivées. Quand j'ai vu ça, je me suis dit que cet appart était fait pour moi ! Ça donne une ambiance londonienne, très sherlockholmesque, j'adore. Mais comme il est super grand, je devais trouver une coloc'. Je n'aurais jamais pu me payer ce loyer toute seule. »
Je la laisse parler, encore et encore. Je crois que je pourrais l'écouter pendant des heures, admirer son si joli visage toute ma vie. Cela fait presque 4 mois que l'on s'est rencontrées et les sentiments que je ressens pour elle n'ont fait qu'accroître avec le temps.
Nous passons une bonne partie de l'après-midi ensemble à parler de nous, de ce que l'on aime, de nos rêves. Je prends conscience que c'est notre complémentarité qui me plaît autant. Nous nous ressemblons si peu alors que je l'aime tellement.
L'appel de ma mère me ramène brusquement à la réalité. Effectivement, il est déjà 18h et le reste de notre famille ne va pas tarder à arriver pour le repas de Noël.
« Et toi, tu le fêtes où ? demandé-je à Mél après lui avoir brièvement expliqué la conversation entre ma mère et moi.
- Je vais rejoindre mes parents et mon frère. On va fêter ça à quatre, comme tous les ans.
- Et ça va, ça ne te dérange pas ? demandé-je, surprise.
- On n'est pas une grande famille, dit-elle comme prise d'un sentiment de tristesse.
- Ah, je vois, murmuré-je gênée alors que je me lève pour déposer nos deux verres dans l'évier.
- Laisse tout ça là, ne t'inquiète pas, je ferai la vaisselle quand tu seras partie », m'ordonne t-elle en m'arrachant les verres des mains.
Tout à coup, je vois son visage, à quelques centimètres du mien, s'illuminer à nouveau et je souris à mon tour.
« Étant donné qu'Emma n'est jamais là, ça te dirait de venir dormir ici, de temps en temps ? me propose t-elle sans prévenir. On passe une bonne partie de notre temps ensemble depuis un moment et que tu serais sans doute bien mieux ici...
- Oh oui ! l'interromps-je. Avec grand plaisir !
- On pourrait se voir encore plus souvent, argumente t-elle en s'approchant si près de moi que je sens son souffle contre mon visage, que je ressens ces fameux papillons.
- Et je ne demande pas mieux », dis-je dans un murmure en passant maladroitement mes bras autour de sa taille.
Et c'est comme si c'était le signe qu'elle attendait, celui qui l'éclairait enfin sur mes intentions, car elle enroule aussitôt ses bras autour de mon cou et pose ses lèvres humides contre les miennes. Son corps se rapproche du mien ; instinctivement, je la maintien à distance pour ne pas sentir le contact de mes seins sur elle. Les ressentir me fait prendre conscience qu'ils sont bien là. Quelle horreur !
Rapidement, je sens l'explosion se produire en moi. Une faiblesse gagne rapidement mes jambes qui semblent ne plus me soutenir, comme si j'étais seulement portée par l'amour. Par le sien.
Minuit passé, c'est toujours avec la même excitation de gamine que j'ouvre mes cadeaux de Noël. Comme d'habitude, comme pour faire durer le suspens, je tente de deviner ce qui se cache derrière cet emballage, souvent devant le regard impatient de celui qui me l'offre. Là, en l'occurrence, il s'agit du cadeau de ma mère.
Lorsqu'elle me tend l'enveloppe qui contient mon cadeau, je sais déjà à quoi m'attendre. En tout cas, je l'espère tellement au fond de moi que je ne peux m'empêcher de sourire. Pourtant, je sais que c'est impossible. Ce ne peut pas être une place de concert pour aller voir Indochine à Nancy. Les places sont parties si vite...
Lorsque j'ouvre délicatement cette enveloppe, comme s'il s'agissant d'un objet précieux, je sens mes mains moites sur le papier. Je sens le regard insistant de ma mère qui attend ma réaction. Et là, je crois mourir. À cet instant, je n'entends plus les enfants crier de joie autour de moi, ni leurs parents les réprimander pour telle ou telle chose, ni la vaisselle tout juste lavée qui est en train d'être rangé dans le meuble attitré. Non, à ce moment précis, mes yeux sont rivés sur le ticket.
« Maman... mais c'est..., réussis-je seulement à dire.
- T'es contente ? me demande t-elle, heureuse de voir que je le suis.
- Bien sûr ! m'exclamé-je. J'avais tellement envie d'aller voir Indochine sur cette date si spéciale ! Mais c'est incroyable ! Comment tu as fait ? lui demandé-je en levant enfin les yeux du Graal que je tiens entre mes mains tremblantes.
- J'ai réussi à les avoir lors de la revente. Toi, tu étais en cours cette fois-là je crois. Enfin, tu ne pouvais pas les prendre. Et je t'avais fait croire que je n'avais pas réussi à en avoir, me remémore t-elle. Tu te souviens ?
- Bien sûr que je me souviens, confirmé-je alors avec une voix plus douce, presque reconnaissante. Merci ! Merci, vraiment ! Tu n'imagines pas combien c'est important pour moi. »
Elle se contente de me sourire. Ne saura t-elle jamais ce qu'il se passe en moi dans ces moment-là ? Ce que je vis grâce à Indochine ? La force qu'ils me donnent au quotidien ? Ça non, je crois foncièrement que jamais elle ne verra l'ampleur de mon admiration et de mon besoin d'être auprès d'eux. En même temps, si nous nous sommes toujours bien entendues, ma mère et moi, nous n'avons jamais été très proches. Jamais, je ne me suis confiée à elle, pour lui parler de mes histoires amoureuses gâchées, jamais je n'ai été pleurer sur son épaule à cause des insultes que je recevais en permanence à l'école, jamais je n'ai passé des heures à échanger avec elle, sur ce que j'aime, ce que je n'aime pas, ce dont je rêve, ce dont j'ai peur.
Ces pensées me rendent soudainement triste. Pourtant, je devrais être habituée à cette relation que j'entretiens avec ma mère. C'est comme ça depuis toujours. Et je croyais pourtant m'y être faite. Mais en réalité, je crois qu'on ne qu'on ne s'habitue jamais vraiment à ces choses-là.
Ce soir, j'aurais aimé voir deux tickets dans l'enveloppe : un pour moi, l'autre pour elle. Je fais ce rêve fou, parfois, qu'elle accepterait de venir vivre cet instant magique avec sa fille. Qu'elle voudrait, rien que le temps d'une soirée, rentrer dans mon univers. Au lieu de ça, elle continue de maintenir cette distance atroce qui nous sépare.
Pourtant, je ne lui en veux pas. Je sais qu'elle m'aime. Qu'elle est attentive. La preuve ! Mais elle ne semble pas à l'aise avec ses sentiments. Et elle ne m'a pas appris à l'être. Alors souvent, on reste comme ça, l'une en face de l'autre, sans savoir si se prendre dans nos bras serait considéré comme déplacé par l'autre.
La vibration de mon portable me fait sortir de mes pensées. C'est un message de Mél. Comme si elle avait senti, qu'à cet instant présent, j'avais besoin de réconfort.
Passe un bon Noël ma muse. Prend soin de toi
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Ma Seconde Naissance [PAUSE]
General FictionAxelle, le bac fraichement obtenu, quitte tout pour s'installer dans la ville de ses rêves. Elle espère y trouver bienveillance et tolérance, conditions essentielles pour qu'elle puisse s'épanouir en tant que jeune femme homosexuelle. Alors qu'elle...