Au milieu des nuages, j'attends mon atterrissage

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Le doigt sur ton étoile (2002)

Si ces derniers temps, j'ai eu tendance à m'isoler, j'ai décidé de me bouger un peu en ce jour de Saint Valentin. Il faut dire que, depuis le concert, qui a précédé de peu le départ de June, tout me semble fade et sans intérêt. Je me sens comme dans un vide, comme si je me trouvais à l'intérieur d'un gouffre sans fond, dans lequel je m'enfonce un peu plus à chaque instant. J'ai la sensation que je tomberai, pour toujours.

Aujourd'hui, et comme après chaque concert d'Indo, je me trouve dans une espèce d'état second ; un état partagé entre la joie d'avoir été là et la frustration de ne plus y être. Pendant un temps, je suis bien, heureuse d'écouter des musiques d'Indochine, de penser à eux, à ce qu'ils m'apportent depuis toujours, mais très vite, je me sens remplie d'une profonde tristesse, et d'une terrible colère parfois. Quelques fois, je suis prise d'une angoisse terrible, comme si quelqu'un s'était posté derrière moi et serrait si fort au niveau de la poitrine que j'ai la sensation que mon corps ne résistera pas, qu'il va céder, s'effondrer.

« Tous les symptômes de la dépression post-concert », disait June qui ne la connaît que trop bien elle aussi, puisqu'elle en souffre après chaque concert.

Chez moi, elle ne dure habituellement que le lendemain, voire jusqu'au surlendemain ; le temps de me réhabituer à la vie réelle, en somme. Mais là, c'est bien trop dur ; je reste coincée à Epernay. La vie ici me semble bien trop dure pour que je puisse descendre de mon petit nuage si rapidement, que je puisse atterrir sans secousse.

Alors que nous buvons l'apéritif qui vient de nous être servi, j'essaye de faire part à Mél de ce tourbillon d'émotion qui m'habite. Je tente de mettre en mots ces contradictions dont je n'arrive pas à me débarrasser. Pourtant, je sens bien que mes émotions ne l'atteignent pas autant que je le voudrais ; elle semble ne pas recevoir leur intensité, la place qu'Indochine occupe dans ma vie. Elle relative tout, banalise trop, nierait presque mes ressentis.

« Pourquoi ça te rend si mal ? me demande t-elle finalement.

- Je... je n'en sais rien. Sans doute parce que je les aime trop.

- Mais comment tu peux les aimer ? Enfin, je ne juge pas hein ! C'est juste que je trouve ça marrant parce que tu ne leur as jamais parlé. Ils ne sont sans doute pas aussi bien que tu les imagines. »

Un grand silence s'installe. Je suis mal à l'aise, je fais nerveusement tourner le soda à l'intérieur de mon verre ; et elle, de son côté, doit me trouver pathétique, assise au fond de son fauteuil, les bras repliés, le corps renfermé. Elle ne comprend définitivement pas ce qui me lie au groupe. Elle ne saisit pas la portée de leur musique, des valeurs qu'ils prônent, de ce que ça apporte d'être fan.

Par chance, les plats que nous avons commandés arrivent. Les odeurs qui se dégagent du mien m'enivrent aussitôt et nous échangeons instinctivement sur le contenu de nos assiettes. Les langues se délayent petit à petit. Il s'agit d'une discussion superficielle, mais ç'en est une quand-même, et dans un tel moment gênant, c'est justement ce qu'il faut.

Pour éviter que le silence ne se glisse à nouveau entre Mél et moi, je la questionne sur un tout au sujet ; à savoir, son nouveau travail. J'apprends alors qu'elle a été embauchée en tant que conseillère en cosmétique. Ceux qui s'y connaissent disent qu'elle se maquille incroyablement bien et qu'elle a une technique incroyable ; donc, forcément, elle a trouvé le job parfait pour elle.

Elle me parle des clientes, parfois pénibles, souvent adorables ; de l'ambiance pas terrible avec sa hiérarchie, géniale avec ses collègues. Ses collègues qu'elle retrouve d'ailleurs ce soir autour d'un verre. Depuis quand elle boit des verres ? Elle doit sans doute lire dans mes pensées – à moins que mon visage soit beaucoup trop expressif – puisqu'elle précise que le but est de créer une bonne cohésion d'équipe. « C'est important de toutes bien s'entendre si on ne veut pas arriver au travail la boule au ventre », ajoute t-elle.

Je l'interroge alors sur ses études. Elle est catégorique :

« Il est possible de faire les deux, mais si les cours me gonflent encore comme ça, je vais tout lâcher. Mon chef est prêt à me faire un contrat de 35h. Ça fait quand-même réfléchir !

- Mais ton rêve de devenir avocate ?

- À vrai dire, je ne sais pas si ça me correspond vraiment.

- Ça fait longtemps que tu te poses ces questions ? lui demandé-je, gênée et quelque peu vexée, une fois encore, de ne pas avoir été mise au courant plus tôt.

- Depuis quelques semaines oui. »

Je ravale ma colère, ma déception et toutes les émotions qui s'accumulent en moi, malgré la boule qui se forme petit à petit au fond de ma gorge.

« Mais bon, pour le moment, je compte faire les deux à la fois. Comme le fait Clara, une fille avec qui je bosse. Elle travaille depuis qu'elle est à la fac et elle va finir son master cette année.

- J'imagine que ce n'est pas donné à tout le monde, réponds-je simplement, détachée.

- Sans doute, oui. En tout cas, Clara a toujours réussi haut la main ses examens, tout en étant une des meilleures conseillères d'après la clientèle et la direction. Et il faut dire qu'elle m'impressionne vraiment. Je la trouve tellement forte et persévérante.

- Tu as l'air de bien l'aimer, dis-moi, la provoqué-je.

- Oui c'est vrai. C'est ma préférée parmi toutes mes collègues, précise t-elle en souriant. Comme c'est la meilleure, c'est elle qui s'est occupée de moi quand je suis arrivée. Elle me prend un peu sous son ail on dirait bien », poursuit-elle ne semblant pas se rendre compte à quel point ce qu'elle me raconte me rend jalouse.

Elle le fait exprès ou quoi ? Là, c'en est trop pour moi.

Je sors mon portable de la poche de ma veste comme pour occuper quelque peu mon esprit, au moins le temps que ce sentiment trop intense se dissipe. Si ça peut m'éviter de m'énerver et créer une dispute, je prends ! Mais c'est quand même idiot que je doive me réfugier dans la technologie pour m'apaiser, alors que ma petite amie est juste en face de moi. Ça devrait être elle qui devrait pouvoir me rassurer.

Et par chance, j'ai un message ! Il s'agit d'Ambre ; elle dit avoir bien reçu mon texto ce matin – celui envoyé pour qu'elle ait mon numéro de téléphone – et conclue avec ces belles paroles :

Je te souhaite de passer une agréable soirée. Et, surtout, n'oublie pas ma proposition, si tu as besoin de quelqu'un à qui parler...

J'affiche un petit sourire sur mon visage que Mél remarque puisqu'elle me lance : « Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? »

Rien du tout Mél, rien que tu ne puisses comprendre, ai-je envie de lui répondre. Mais au lieu de ça, je lui dis simplement que c'est June, pour ne pas faire d'histoire.

Ce message, si insignifiant soit-il, est comme une petite bouffée d'air qui me permet de m'extraire de cette situation trop oppressante dans laquelle je suis. Il m'offre la possibilité de reprendre mon souffle. Enfin quelqu'un se montre bienveillant avec moi. Mais, le problème dans tout ça, est que ce n'est toujours pas ma petite amie. Qu'est-ce que je dois donc faire pour la réveiller ? Pour réveiller en elle ces sentiments, son désir ? 

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant