L'amoureuse (1996)
Trois heures du matin. Je me décide enfin à sortir de mon lit. À quoi bon persister si c'est pour me réveiller sans arrêt ? Et, en plus, il faut voir quels réveils ! D'abord en sursaut, comme si je passais brutalement du sommeil profond à la veille ; puis trempée de sueurs, comme si j'avais couru le plus vite possible pour échapper à mon ravisseur ; et enfin en train de crier le nom de Mél. Je suis tellement pathétique...
Quand je croise mon reflet dans le miroir de la salle de bain, je me rends compte à quel point je suis vraiment... laide. Et pourtant, le miroir est au moins à deux mètres de moi. Je m'approche doucement, comme si je risquais de réveiller quelqu'un, quelque chose. Je vois mes yeux injectés de sang et terriblement gonflés, je crois qu'ils ont pleuré pendant mon sommeil, mon nez rouge, comme toujours quand je pleure. Et pour couronner le tout, ma tête me fait atrocement mal, on dirait qu'elle est prise dans un étau – toujours quand je passe des nuits avec aussi peu de sommeil.
Un thé, il me faut un thé ! me dis-je lorsque je prends conscience que mes pensées me sont toujours aussi incontrôlables ; elles me polluent et je me retrouve impuissante face à elles. Si je me souviens bien de ce que je faisais au lycée dans ces moments-là, il suffirait que j'observe simplement ces pensées, sans m'agripper à elles, pour qu'elles puissent s'en aller. Mais là, c'est elles qui s'accrochent à moi, d'un air de dire « tu vas souffrir salope ». Oui, c'est bon là, j'ai assez mal comme ça, vous pouvez disposer, me dis-je à moi-même en soufflant sur mon thé bouillant, comme si je soufflais sur ces pensées qui m'encombrent trop.
Mais mon esprit divague malgré tout vers Mél. Je crois que, tant que je n'aurai pas traité le problème, j'y penserai toujours. Encore et encore. Mais, en réalité, que puis-je faire ? Puisque, pour Mél, tout est normal et que rien ne cloche, elle ne fera aucun sacrifice de son côté. No sacrifice.
It's two hearts living in two separate worlds
But it's no sacrifice
No sacrifice
It's no sacrifice at all
La voix cristalline et profonde d'Elton John résonne dans ma tête, elle occupe un temps soit peu mon esprit et dégage certaines pensées de là. Elle m'offre un peu de répit. Un peu de place pour raisonner. Et là, la seule solution pour que je puisse sortir de cette situation, c'est d'en parler à June. Il n'y a qu'elle qui saura me dire quoi faire. Elle a toujours été dans les pires moments de ma vie. Depuis ma première rupture amour, jusqu'au divorce de mes parents, en passant par tous mes questionnements sur mon orientation sexuelle.
« Bah alors, tu crois vraiment que c'est une heure pour appeler sa meilleure amie ? Parce que s'il est vingt heures chez moi, il doit être...
- J'ai vraiment besoin de te parler June, l'interrompé-je.
- Oula, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tout va bien ?
- N... non, pas vraiment. Pas du tout en fait. On s'est disputée avec Mél et je... je ne comprends rien, je ne sais pas quoi faire.
- Bon, raconte moi tout Axou. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Je... on s'est pris la tête parce qu'elle ne... oh je me sens tellement nulle de m'être vexée pour ça.
- Mais tu sais que tu peux tout me dire, voyons ! Allez, lance toi !
- Elle dit que je suis « sa femme secrète ».
- Mais c'est mignon ça ! s'exclame t-elle.
- Elle ne veut pas parler de moi à sa famille. Sur le campus, on ne peut pas non plus se tenir la main au risque que sa sœur nous voit... ça devient n'importe quoi ! Pourquoi elle fait ça ? Pourquoi on dirait que je lui fais honte ? Je lui fais honte, tu crois ? demandé-je, haletante.
- De ce que tu m'as dit de Mél, on se ressemble beaucoup, elle et moi. Du coup, même si c'est pas cool ce qu'elle fait, j'arrive à la comprendre.
- Ah bon ? Alors là, j'ai besoin que tu m'expliques, parce qu'avec la meilleure volonté possible, je n'y comprends vraiment rien !
- Elle a vécu une relation compliquée, Axou. Elle a peur de s'engager à nouveau. C'est normal.
- Oui, d'accord, ça je comprends. Mais pourquoi être si distante avec moi ? et d'un seul coup en plus ?
- Peut-être qu'elle a senti que, de ton côté, tu... t'enflammais un peu trop ?
- Mais... comment je... enfin je ne peux pas faire autrement. Je ne peux pas retenir mes sentiments ou m'empêcher de l'aimer alors que c'est ma petite amie. Ça n'a pas de sens, débité-je.
- À sa décharge, tu t'emballes souvent très vite Axelle. Avoue-le, lâche t-elle en rigolant au bout du fil pendant que j'essaye de ne pas trop me vexer. Tu as toujours été comme ça. Et ce n'est pas un défaut, en soi. »
En soi. Mais, dans ce cas précis, si, c'en est un.
June ne m'apporte pas toujours le réconfort que j'attends, mais finalement, peut-être que j'ai besoin d'être bousculée par moment. Ce soir, je ravale alors ma fierté, mon besoin d'être consolée et confortée dans l'idée que j'ai raison.
« Ça arrive que l'un des deux avance plus vite que l'autre. Et c'est pas grave, il faut juste un moment d'ajustement. Je crois que rien n'est perdu. »
Pendant qu'elle conclue sur cette note positive, je me demande vraiment si je dois la croire. Je doute soudainement de tout.
Comment expliquer certains détails que mon intuition perçoit sans que mon cerveau puisse les analyser ? certaines choses que je ressens sans qu'elles puissent être explicitées en des actes objectifs ? Après tout, peut-être que je me prends trop la tête ; June a sans doute raison.
« Je... tu crois que je devrais la rappeler ? demandé-je enfin, après quelques secondes de rapide réflexion.
- Bien sûr que tu devrais ! T'as même intérêt à la rappeler ! Tu l'aimes, non ? »
Elle me fait aussitôt sourire. Légèrement, mais quand-même ! Elle a raison, après tout. Qu'est-ce que j'attends ?
« Je te laisse réfléchir et je suis là si jamais tu as encore besoin de ta vieille pote ! » me dit-elle avant de raccrocher.
Et là, je me retrouve face à moi-même avec seulement ce silence comme compagnon. Je recherche donc une musique à mettre en fond sonore pour tuer l'angoisse qui pointe doucement le bout de son nez. Je décide de faire tourner l'album Dancertaria. Sans doute l'un de mes préférés.
Nicola chante les dernières paroles de la dernière chanson de l'album quand je prends conscience que rien n'a avancé depuis presque une heure. J'enchaine avec Wax en espérant y trouver un peu plus d'inspiration.
Si je tente de faire le point, je dois bien avouer que je voudrais faire comme si de rien n'était. Je voudrais que tout redevienne comme avant entre Mél et moi. Je voudrais avoir le pouvoir de tout effacer : notre dispute, ses incohérences, mes blessures. Repartir à zéro. Mais comment est-ce possible ? Comment peut-on réparer des blessures aussi vives et récentes ? À part les couvrir d'un pansement, les masquer, je ne vois pas. Et dans tous les cas, tout est simplement caché, refoulé. Un cœur ne peut se guérir aussi vite. Il reste marqué un bon moment. Surtout le mien ? Pourtant, je dois bien avancer et passer outre cette sensibilité qui fait que « ce qui érafle les autres me déchire » comme dirait Flaubert.
Mais, après tout, avons-nous le devoir de faire comme si ? de faire croire à la personne aimée que l'on est réparé pour lui éviter toute culpabilité ? C'est en tout cas la mission que je me donne : protéger l'autre, quoi qu'il m'en coûte.
Je finis par m'endormir. Quelques heures seulement, puisque j'ouvre les yeux alors que les six heures viennent juste de passer.
Bon, il faut que je me lance. Mél ne va pas tarder à se lever.
Je commence par m'excuser. De toutes les manières qu'il soit possible. Puis je lui dis simplement que j'ai été bête de lui en demander autant. Bien sûr que je me suis trop engagée, que je suis assez trop vite, bien sûr que c'est elle qui est dans le vrai. Je conclue en déclarant que, dorénavant, je serai plus prudente. Et bien évidemment, que je l'aime plus que tout.
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Ma Seconde Naissance [PAUSE]
General FictionAxelle, le bac fraichement obtenu, quitte tout pour s'installer dans la ville de ses rêves. Elle espère y trouver bienveillance et tolérance, conditions essentielles pour qu'elle puisse s'épanouir en tant que jeune femme homosexuelle. Alors qu'elle...