J'ai pas l'habitude de m'occuper des cas comme ça

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J'ai demandé à la lune (2002)

Je ressens une drôle de sensation lorsque j'entre dans cette salle d'attente que je ne connais que trop bien. J'y suis venue, toutes les semaines, pendant plus de deux ans, jusqu'à il y a quelques mois. J'ai eu du mal à quitter ce lieu, tout comme ç'a été difficile d'y entrer pour la première fois. Sans doute parce que j'appréhendais de me découvrir, de me rencontrer vraiment, de comprendre qui je suis au fond de moi. C'est toujours étrange d'aller voir un psychologue ; on a cette inquiétude que tout peut alors changer. Or, à l'époque, je ne me sentais pas capable d'accueillir le moindre changement, je ne me sentais pas prête à m'observer moi-même et à adopter ce regard critique que demande l'introspection centrale dans un suivi. Alors je me disais que je n'avais rien à perdre. 

C'est ma mère qui a insisté pour m'y emmener. Elle était complètement démunie, perdue et se sentait terriblement seule face à ma souffrance que ni elle ni moi ne parvenions à définir. J'avais alors accepté d'y aller, sans broncher ; sans doute épuisée de m'opposer continuellement aux autres. Peut-être que, inconsciemment, je savais que j'avais refoulé beaucoup trop de choses, que j'avais besoin de parler pour remettre de l'ordre, qu'il était urgent que quelqu'un m'accompagne sur ce chemin périlleux qui mène à la découverte de soi. Un chemin sans doute infini, puisqu'aujourd'hui, même si ces deux ans de psychothérapies m'ont apportés énormément, j'en apprends encore tous les jours sur moi-même. La preuve, puisque je suis ici.

Au cours de ces deux années, nous avons pu, ma psy et moi, mieux cerner mes faiblesses, mes failles, mes entailles. Elle m'a aussi appris l'acceptation et l'écoute bienveillante de soi, sans jugement. Ça, c'est sans aucun l'exercice qui a été le plus difficile, mais aussi le plus incroyable, moi qui passais mes journées entières à me critiquer et à me flageller, pour tout et n'importe quoi. Grâce à ce changement d'attitude vis-à-vis de moi-même, accepter mon homosexualité s'est avéré moins compliqué que prévu. Et puis, il faut dire que ma psy a été très présente à ce moment-là : dès mes premiers questionnements, nous avions établi une confiance suffisamment importante pour lui en faire part, sans avoir peur d'être jugée. Au contraire, elle a essayé de creuser, de m'inciter à aller plus loin, d'être davantage à l'écoute de mes véritables sentiments et attirances.

Vraiment, je dois beaucoup à cette femme pourtant déjà d'un certain âge. On croit toujours que les jeunes sont plus ouverts d'esprit et que les plus vieux sont conservateurs, mais ce n'est pas toujours le cas. Pour ma part, ç'a même été le contraire : cette vieille psy a été d'une tolérance et d'une bienveillance incroyable, contrairement aux jeunes de ma classe qui n'ont pas trouvé mieux que me harceler et me faire comprendre que je n'étais qu'une « merde », qu'une « sale gouine », qu'un « enfant de Satan ». Si, à cette époque, je n'ai pas sombré autant que j'aurai pu, c'est grâce à elle.

Alors maintenant que je suis de nouveau en plein questionnement sur moi-même, je sais qu'il n'y a qu'elle qui puisse m'aider, encore une fois, même si j'ai l'intime conviction que, cette fois-ci, on est dans une impasse. Enfin, je suis dans une impasse.

Quelques jours après ma rencontre avec Elias, j'ai décidé d'aller voir mon médecin généraliste, pour lui faire part de mes doutes et de mes questionnements autour de mon identité. J'avais besoin de parler, à quelqu'un de neutre, qui saurait m'écouter et m'aider à y voir plus clair. Mais j'avais oublié que les médecins ne font pas ce genre de choses. Après avoir pourtant utilisé les termes qui me semblaient être les plus justes pour exprimer ce que je ressens, après avoir tout simplement été la plus honnête possible, il m'a arrêté net en me disant « Je n'ai pas l'habitude de m'occuper des problématiques comme ça ». Faisait-il volontairement référence à Indochine, sachant qu'il a vu une bonne dizaine de fois le dessin que j'ai décidé de me graver sur mon bras ? Ou n'a t-il vraiment pas trouvé d'autre formule plus adaptée, moins maladroite ? S'il y avait réellement une connotation indochinoise, je pourrais envisager de lui pardonner, mais seulement dans ces conditions car, imagine-il à quel point il est douloureux d'entendre quelqu'un utiliser le mot « ça » pour parler de ce que nous sommes ? Toujours est-il que je savais que je n'obtiendrai rien de lui. Pas d'aide. Pas même de la bienveillance.

Alors, forcément, même si je savais pertinemment que ma psychologue – devrais-je dire mon ancienne psychologue – ne prenait en charge que les mineurs, je devais la recontacter. J'étais persuadée que, sans elle, je continuerai d'errer dans ma vie, avec ce corps comme fardeau, sans aucune réponse.

Lorsque j'ai composé le numéro du standard que j'avais gardé précieusement, je ne savais pas exactement ce que je comptais dire. Mais le temps s'est étiré ; personne ne voulait donc m'aider.

Au bout d'un bon nombre de bip, alors que j'étais à deux doigts d'abandonner salement, une voix féminine m'a répondu. Ce n'était pas la secrétaire avec qui j'avais l'habitude d'échanger lorsque j'attendais en salle d'attente. J'ai alors expliqué à cette dame que je souhaitais reprendre contact avec Madame Marchal pour lui donner des nouvelles de moi, étant une ancienne patiente. Je savais que c'était quelque chose qui se faisait, donner de ses nouvelles, elle ne pouvait donc pas me le refuser. Elle a alors pris mon numéro de téléphone, ainsi que mon prénom et nom de famille et m'a assurée que la psy m'appellerait très bientôt. Enfin des personnes bienveillantes, me dis-je à moi-même après avoir raccroché. En même temps, que feraient ces personnes égoïstes dans le domaine du social ? Parfois, il y a des questions qui me semblent éternellement sans réponse. Peut-être que, moi, je faisais partie de ces questions auxquelles on ne peut répondre, auxquelles on ne peut pas dire ce qui cloche.

Ma psy m'a appelée le soir même. Elle m'a dit être heureuse de m'entendre et avoir souvent pensé à moi. Selon elle, nous avons fait tellement de chemin ensemble, qu'il lui est impossible de m'oublier comme ça. Elle m'a joyeusement proposé un rendez-vous quelques jours plus tard. Aujourd'hui, donc.

Comme au bon vieux temps.

Si je suis contente de la retrouver, j'ai pourtant l'impression d'abuser de sa gentillesse. Dans cette salle d'attente vide, je prends conscience que je n'ai pas été totalement honnête et transparente avec elle. À cette pensée, je me déçois, à nouveau. Mais rapidement, je me rassure en me disant que c'est indispensable pour moi, de la revoir. « Juste une fois, c'est tout ce que je demande », me dis-je lorsque j'entends des pas approcher. C'est elle.

Son sourire me décontracte instantanément. Elle me serre la main et m'invite à entrer en disant, tout sourire, « tu connais le chemin ».

Une fois la porte de son bureau fermée, nous nous asseyons, toujours à la même place. Je ne peux retenir mes émotions. Je justifie la brillance de mes yeux, ainsi que ma voix vacillante, en lui expliquant que cet endroit ravive chez moi un tas de souvenirs. Heureux et moins heureux. « C'est normal », me rassure t-elle. 

Je lui raconte alors ces deux années passées en autonomie, sans son soutien. Je lui parle du bac réussi difficilement, de mon entrée à l'Université, de ma passion pour la socio, de mes amitiés récentes, de ma nouvelle vie à Metz, loin d'ici. Elle dit être fière de moi, de ce que j'ai pu accomplir.

« Par contre, tous ces questionnements autour à masexualité... ça s'arrête pas, lancé-je. 

- C'est normal, tu as découvert ton homosexualité il n'y a pas si longtemps finalement.

- Oui, c'est vrai, acquiescé-je. Sauf que là, ce n'est plus en rapport avec mon orientation.

- Ah oui ? Qu'est-ce qui te pose question alors ? s'intéresse t-elle sincèrement.

- Il s'agit plutôt de... ça concerne mon identité, lâché-je enfin.

- Tu veux parler de ton identité de genre ? interprète t-elle si justement.

- Oui... c'est ça », validé-je, terriblement gênée.

Je sais pertinemment que nous empruntons un terrain glissant. Je sais que je suis nulle d'aborder ce sujet. Je le sais. Mais lorsque je lève enfin les yeux vers elle, je crois qu'elle comprend tout : j'ai terriblement besoin d'aide. Du sien. 

« Écoute Axelle, je ne peux pas te revoir en consultation ici, tu le sais, me rappelle t-elle. Mais, si tu le souhaites, nous pouvons déjeuner ensemble et échanger autour de ces questions ? me propose t-elle avec sérieux.

- Vous... vous seriez prête à le faire ? demandé-je surprise devant tant de générosité.

- J'ai conscience que ce sont des questions complexes. Je sais pertinemment que tu es en mesure d'y répondre seule, mais si je peux t'apporter mon soutien, en tant que... qu'amie disons, alors oui, je suis partante ! Deux amies ont bien le droit de manger ensemble, non ? demande t-elle ironiquement, en souriant à nouveau.

- Oui, sans doute », réponds-je simplement. 

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant