Mon père est mort

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Le dernier jour (2009)

Jamais je n'aurais pensé que ma vie prendrait une telle tournure en me réveillant ce matin. Jamais je ne me serais imaginé une telle chose quand j'ai vu que l'appel manqué de ma mère. Jamais je n'aurais pu prévoir que ce qu'elle avait à me dire était si important. Alors j'ai attendu toute la journée avant d'écouter mon répondeur. Parce que je pensais qu'il s'agissait simplement d'être courtoise en prenant des nouvelles de son enfant. Parce que je pensais qu'elle voulait encore me donner une information inutile. Parce que je n'avais pas forcément envie d'entendre ma mère.

Quelle horrible personne je suis... Putain mais quelle ordure.

Mon père est mort dans la nuit. Je ne sais pas quand exactement, ni comment, ni pourquoi lui. Et pourquoi lui ? Pourquoi nous ?

Dans la voix de ma mère, j'ai entendu de la tristesse, une once de regret peut-être. Même s'ils sont divorcés depuis plusieurs années, j'ai toujours pensé qu'elle ne l'a jamais vraiment oublié. Après tout, c'est lui qui est parti. Parti à cause de moi. Oui, si notre famille a éclaté, c'est bien à cause de moi. Et ça, cette rancune, j'ai aussi pu la discerner dans sa voix, surtout quand elle a dit, juste avant de raccrocher « Tu manquais à ton père. Il aurait aimé te revoir une dernière fois ». Comme si elle m'en voulait. Comme si j'avais ma part de responsabilité. Comme si j'avais le pouvoir de repousser le dernier jour de quelqu'un.

Et là, une montée de chaleur arrive en moi et je surprends mes mains se refermer sur elles-mêmes, des poings. Dans cet avalanche d'émotions, je parviens à en distinguer au moins une. La colère. Parce que mon corps se tend, parce que ma respiration s'accélère, devient plus courte, parce que ma tête se réchauffe douloureusement.

Putain Maman, quel est l'intérêt de me dire ça à moi, une demie-orpheline ? Qu'attends-tu de moi ? Qu'est-ce que je dois faire pour que tu me pardonnes ? Je suis déjà si orphelin de moi-même.

Puis la nostalgie, la tristesse, le sentiment réel de couler, d'être orphelin, abandonné, terriblement arraché. Je n'avais jamais réellement ressenti le manque de mon père jusque là. Depuis son départ, j'ai avancé sans me préoccuper de lui, sans le prendre en considération. Je ne crois pas que je me sois déjà posé la question, ne serait-ce qu'une fois, ce que ça me ferait le jour où il partirait. Peut-être que je me disais que ce jour ne serait pas pour maintenant. Sans doute que je ne m'arrivais tout simplement pas à l'envisager. Il y a des choses innommables, que l'on se peut se représenter, qui dépassent tout ce que nous sommes en capacité de comprendre et intégrer. Alors, aussi bizarre que cela puisse paraître et aussi inexplicable que cela puisse l'être – et même si je ne veux pas vraiment me l'avouer – je ressens un vide inqualifiable. Un vide intérieur que je n'aurais jamais imaginé vivre un jour. Certainement pas avec la disparition de mon père. Jamais je n'aurais cru que son absence me creuserait le cœur aussi violemment.

Puis la culpabilité. Me reviennent en mémoire des tas de moments avec mon père. Moi lui fermant la porte au nez. Moi rangeant mon portable au fond dans ma poche lorsque c'est lui qui m'appelait. Moi crachant sur son dos avec quiconque voulait bien entendre comment il nous avait salement abandonnées. Moi repartant de chez lui alors que je n'étais arrivée que vingt minutes auparavant, prétextant un rendez-vous oublié. Et aujourd'hui, le simple fait de savoir qu'il n'est plus de ce monde, tout est différent. Ce qu'il a fait est toujours impardonnable, son comportement irrespectueux envers moi l'est toujours autant, rien n'a changé. Pourtant, j'ai mal.

Machinalement, j'envoie un message à June. « Il est mort ». Nul besoin de préciser de qui je parle ; elle le sait pertinemment. Depuis qu'il est parti, je ne l'ai que très rarement nommé, me contenant de « lui » ou « il ». Parler de lui sans prononcer son nom, sans avoir besoin de dire « mon père » que je ne considérais pas vraiment comme tel, est-ce que cela fait de moi quelqu'un d'horrible, en dépit du mal qu'il a pu me faire ? Sa mort n'est-elle pas comme une punition que l'on me fait ?

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant