Assis face à la mer, le vent lui fouettait le visage et faisait virevolter ses milles tresses qu'il avait enlevés de sa barrette. L'air calme, il avait pris l'habitude de venir se réfugier ici après une dure journée de labeur pour faire le tri dans ses pensées, seul. La lune était absente où en retard comme la nuit dernière, car ses doux rayons lumineux à qui il parlait quelques fois n'étaient pas là pour lui rire au nez de sa malchance que lui avait réservé la vie. Bouteille de rhum à la main, il se réchauffait les entrailles d'une bonne gorgée à chaque fois que la mer lui faisait honneur de son odeur exquise qui lui mettait en extase.Aujourd'hui, tout sortait de l'accoutumance, remarquait-t-il, les vagues ne venaient pas baiser ses orteils comme ils aimaient le faire dans un mouvement slow de va-et-vient, et le vent souvent spectateur, ne faisait pas chanter son orchestre du haut de la cime des palmistes qui bordaient le rivage. Il glissa ses doigts dans le sable fin et caressa la rive comme le corps d'une femme sous sa paume. Encore chaude et bientôt frisquette.
Figé dans l'immensité de ses espoirs, de la beauté de la nuit, dans l'infinité bleue de la mer, dans la transcendance du temps, il entendit une petite voix fredonner une chanson, puis s'arrêta. Il jeta un œil autour de lui. À ses heures tardives de la nuit personne après lui ne venait ici. Il crut l'avoir imaginée et d'un cul sec, avala le reste de sa boisson et lança la bouteille à la mer qui l'engloutit, et se décida à rentrer. Le fredonnement repris doucement, calmement, mélancoliquement et lui arracha un frisson jusqu'à déchirer son épine dorsale.
Le cœur haletant, il s'imagina que l'effet alcoolique de sa boisson lui jouait de mauvais tours quand à quelques mètres de lui sur un rocher il vit la forme d'un être humain recroquevillée. Qui était ce pensa-t-il? Chantonnait-elle aussi fort pour que sa voix me parvienne ainsi? Et pourtant, il ne l'avait point vu arriver, peut-être qu'elle était à l'autre bout du rivage et qu'elle prenait son bain de nuit. Sa chanson ne cessait et allait d'un ton à un autre qu'il pouvait sentir la profondeur de sa tristesse. C'était impossible que je l'entende chanter! Répétait-il à lui-même. Son instinct lui dictait de quitter les lieux, mais sa curiosité dominante lui guida jusqu'à elle.
Au fur et à mesure qu'il s'approchait, il pouvait voir ses longs cheveux noirs lui tomber jusqu'à la taille et sa jupe blanche immaculée qu'elle portait. Elle lui donnait dos, et il hésitait entre continuer et faire demi-tour. Puis s'arrêta. Bonsoir! Avait-il crié la voix ferme et distante. Il n'est pas un peu tard pour qu'une jeune femme soit seule sur la plage? Aucune réponse ne lui était parvenue. Vous n'avez pas peur? Tenta-t-il une dernière fois.
- Vous venez ici chaque soir, avez-vous peur vous? Lui demanda la jeune femme.
Et cette voix!! Cette voix qui lui glaça le sang, qui lui contracta les muscles, qui lui haleta le souffle et qui lui paralysa les membres, il la reconnaîtrait dans tous les bruits du silence. Et comme une image, il fut projeté dans des souvenirs lointains qui lui rappelaient des moments fabuleux qu'il avait vécus. Il se souvenait de ses éclats de rire sous le soleil tropical dans les mornes rocheuses, genèse de leur enfantillage, de sa mine boudeuse qui lui donnait une étincelle de paix dans son âme quand elle lui demandait de sourire et qu'il déclinait sans façon, il se rappelait comment elle aimait le monde, comment son rêve d'aider les autres lui était obsessionnel. Et qui la comprenait à cette époque? Personne, peut-être même pas lui. Il ressassait toutes les fois, où il l'a entendue chanter cette chanson qui ce soir, elle fredonnait avec chagrin. Il ne pouvait y croire qu'elle se trouvait là, juste en face de lui et qu'elle n'osait même pas lui jeter un œil lui parlait comme un parfait inconnu.
Sa gorge se noua et n'osait rien prononcer. Je n'y suis pour rien pensa-t-il! Mais tout a changé! Elle a tout changé! Il voulut à nouveau fuir, disparaître de cet endroit le plus vite que possible et ne plus revenir, mais ses jambes étaient clouées et ne défiaient faire un pas proche de la fuite. Enfin elle se retourna et s'approcha. Plus proche qu'elle pouvait être de lui, ses yeux ne brillaient plus. Mes soleils!! Comme il aimait tant les appeler. Son regard n'avait plus de vie et était comme emprisonné dans l'âme du néant.
- Qui es-tu? Il finit par lâcher l'air effrayé.
- Je suis fille de la mer, sœur des vents alizés, je suis ton jardin secret, celle que tu as toujours aimée.
Il se rappelait comme si c'était hier toutes les fois où ils ont couru ensemble sur cette plage à moitié nue et qu'elle lui répétait cette phrase qui lui devenait chaque jour une réalité, toute cette fois où il la comparait à un ange qui veillait sur lui et lui donnait une raison de vivre. Toutes ces fois où le péché est entré en eux et se sont rapprochés. Où yeux dans les yeux, ils se sont mis à nus. De sa peau noire contre la sienne, il pouvait goûter la douceur des soies d'un tissu concocté, toute les fois où ils ont plongé chacun dans l'intimé l'un de l'autre et ont découvert un paradis où ils se nourrissaient d'amour et de sentiments intenses proches à nul autre pareil. Son corps n'avait pas changé et ses courbes laissaient toujours à désirer. Ses seins qui lui ont servi d'oreiller maintes fois se trouvaient emprisonner dans un soutien-gorge qui était noué à son cou.
Une larme s'échappa de ses yeux. Il ne savait pas si ce qu'il vivait était réel ou imaginaire, s'il était toujours quelque part sur la terre à Port-Salut ou s'il avait été transporté au beau milieu de nulle part. Il l'avait devant elle et n'osait pas s'approcher. Ils se regardèrent, se dévisagèrent.
Elle fit un pas vers lui et il recula. Elle avait compris aussi qu'elle l'avait perdu et que c'était trop tard pour s'expliquer. Elle retourna près du rocher. Sa démarche gracieuse ne lui échappa pas, ses fesses bombées et rebondies non plus. C'était impossible pensa-t-il, impossible! Elle ne pouvait pas se tenir à cet instant précis devant lui, juste à quelques pas.
Elle avait les cheveux crépus, pensa-t-il, les yeux qui brillaient et le sourire en arc-en-ciel. Alors c'est vrai! Elle aimait dire qu'un jour elle disparaîtrait et son âme serait la plus grande voyageuse du temps, elle irait voguer sous les vagues et traverserait l'océan et si je souhaiterais la revoir je n'avais qu'à venir ici et l'appeler, qu'elle m'apparaîtrait avec les cheveux aussi longs que les sirènes et les yeux aussi noirs que les profondeurs de l'eau. Elle y croyait tellement que parfois je me demandais si les esprits des eaux ne l'avaient pas possédée.
Et il se rappellera toujours de ce jour où elle a disparu, le laissant seul dans ce monde de vautours, cœur brisé, âme écartelée et des blessures aussi profondes que cette mer. D'abord il a cru à une mauvaise blague et son absence qui perpétuait quotidiennement dans sa vie lui faisait comprendre qu'elle était partie pour de bon, pour de vrai. Je n'y ai jamais cru à ses baratins et tout le monde me parlait d'une disparition que j'ai tenue pour vrai. Pensa-t-il. Le choc l'avait hébété. Et il s'imaginait prendre les rues de Port-Salut le lendemain aussi dément que pouvait le laisser cette situation.
Ils avaient dansé sous les rayons de la lune l'avant dernier soir, il lui avait dit combien il l'aimait, combien sans elle, il serrait comme un chien errant à la recherche du bonheur qu'elle lui procurait. Que dans ses bras, un autre monde existait, près d'elle la félicité était infinie, qu'à chaque fois qu'il la regardait rire, elle avait dessiné mille arc-en-ciel dans ses journées grises, d'un millier d'artifices la nuit elle brillait. Il lui avait demandé si elle savait que le soleil enviait sa lumière, si elle savait que sa beauté rivalisait celle des étoiles des cieux, que sa finesse, que sa souplesse étaient incomparables à celles des eaux dans lesquelles ils papotaient ensemble la nuit.
Il la regardait enlever ses habits et elle lui tendit la main. Viens! Lui avait-elle dit, prends ma main. On ira vivre là où est le vrai bonheur. Hypnotisé, il s'approchait, il ne souhaitait plus la reperdre, il ne souhaitait plus vivre sans elle. Il lui attrapa la main et comme une fumée elle se dissipa, s'effaça, s'envola.
Yemalla! Cria-t-il.
Le fredonnement repris tout doux, il lui supplia de revenir, de rester et pleura... Puis se jeta à l'eau.
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Si les Mots étaient Femmes
Cerita PendekSi les Mots étaient Femmes, alors ils seraient de l'encre vomi par la fougue des plumes empressées. Ils redessineraient la réalité, ils peaufineraient la femme en faisant ressortir la quintessence de leurs existence. Ce sont des mots, des phrases, d...