Seule

Chapitre 14

     "Tu veux me tuer ou quoi?"

    Cette pensée me fit sourire. Jamais je ne pourrais le tuer et replonger dans ma solitude. J'étais un peu essoufflée, le vent qui caressait mon visage me faisait du bien. J'étais arrivée au sommet en première, et Alistair n'était plus qu'à une dizaine de mètres de moi. La vue était imprenable. Les montagnes se mêlaient aux plaines et au lac, c'était magnifique. Je connaissais cette vue, et je ne m'en lassais pas.

    Alistair s'approcha de moi, il était essoufflé. Je l'étais un peu aussi, mais peut-être moins.

     "Il commence à faire froid, fis-je remarquer.
    - Ouais, on devrait redescendre, fit-il platement.

     Je commençai à préparer mes skis, et je fus rapidement imitée par Alistair, et, quelques minutes plus tard, nous étions sur nos skis, prêts à descendre.

     "Vas-y en premier, dit-il"

     Je poussai un peu sur mes bâtons et je m'engageai dans la descente. Il n'y avait plus que moi et la pente. Je me concentrai dans mes virages afin de garder l'équilibre, ce qui était assez compliqué sachant que la neige fraiche m'arrivait au genou. Après quelques dizaines de mètres, je commençai à retrouver les sensations qui me paraissaient si lointaines. Je basculai le poids de mon corps vers la gauche puis vers la droite et ainsi de suite. Au bout d'un certain temps, je m'arrêtai pour soulager mes jambes. Je me retournai vers la pente que je venais de descendre et je vis Alistair, qui se débrouillai plutôt bien. Il fit encore quelques virages avant de me rejoindre.

    "Ça m'avait manqué! M'enthousiasmai-je
    - Ouais moi aussi, répondit-il."

    Il avait beau dire ça, je sentais dans sa voix que quelque chose le dérangeait. En même temps, je le comprenais. Il n'avait plus rien, plus de famille, plus d'amis, plus rien, juste une fille qu'il connaissait à peine. Alors je ne lui dis rien, je ne voulais pas l'enfoncer, j'avais peur de lui dire quelque chose qui le blesserait.

     Je repris la descente, je lâchai prise. Je me sentais libre et je ne m'arrêtai qu'en bas, peu importe si j'avais mal aux jambes, je voulais laisser Alistair respirer un peu. Il arriva quelques minutes plus tard, et je lui repris ses skis pour aller les reposer au magasin. Je rejoignis la voiture, je changeai de chaussures et je montai à l'avant à côté d'Alistair. Il démarra la voiture et il se mit en route vers la maison.

    Je déposai les deux tasses de thé sur la table du salon, on avait un peu froid alors j'avais préparé quelque chose de chaud.

     "C'était sur ta liste, le ski? me demanda Alistair.
    - Non. Je n'avais pas de voiture, alors je n'avais marqué que les éléments qui m'étaient accessibles, répondis-je, donc cette sortie était... improvisée.
     - Et il te reste des éléments sur ta lite?"

     Je repensai au jour où je m'apprêtai à sauter de l'immeuble, juste avant que je fasse la rencontre d'Alistair. J'eus envie de lui répondre le suicide, mais je me ravisai, je ne savais pas quelle réaction il allait avoir.

     "Non, ça ne faisait pas longtemps que j'avais fini, puis je t'ai rencontré, déclarai-je.
     - Et tu prévoyais de faire quoi après?
     - Aucune idée, peut être aller chercher des autres gens dans la région, voire même dans le pays...
     - Désormais c'est possible, grâce à moi.
     - Tu veux aller chercher des personnes dans d'autres villes? fis-je avec de l'espoir dans la voix.
     - On ne peut pas rester ici à rien faire, si on voyage un peu, on pourra se dire qu'on a fait des efforts, avoir la conscience tranquille, et puis ça nous changerait un peu, non?
     - Carrément ouais!"

    Je souris, j'étais contente qu'il ait changé d'avis, je voulais absolument chercher partout, je ne voulais pas abandonner l'idée qu'il puisse rester des gens quelque part. Alors, en essayant de réfréner mon enthousiasme, je m'engageai dans un long monologue :

     "C'est génial! Mais d'abord, il faut qu'on se prépare, dès qu'on a fini de boire, on ira chercher une carte de France avec les autoroutes. Il faudra qu'on planifie tous les endroits où on veut aller, et prévoir les routes les plus rapides, mais pas des petites routes, il ne faudrait pas qu'on se retrouve bloqués par des voitures en plein milieu. Et puis, il faut qu'on prévoie de la nourriture, et qu'on repère les magasins afin de ne pas se retrouver à court de provisions... Et l'essence! Il faut aussi qu'on localise les stations d'essence, ça serait dommage de se retrouver en panne d'essence. Mais je ne sais pas si on pourra faire le plein s'il n'y a pas d'électricité. On pourrait... emprunter une voiture dans un garage, là où on vend les voitures, mais je ne sais pas s'il y aura de l'essence dedans...
     - Calme-toi! se moqua Alistair, on ne va pas partir demain ... Il faudra qu'on prenne notre temps pour tout planifier, ou bien on y va sans rien prévoir... Tu sais, des magasins, on en trouve partout, ce n'est pas forcément la peine de tout prévoir, de tout repérer...
     - Oui, tu as raison, fis-je en essayant de me calmer tant bien que mal."

    J'étais heureuse, durant ma vie d'avant, je n'avais pas beaucoup voyagé. J'avais déjà plein de choses en tête, je voulais aller dans tous les pays accessibles en voiture, mais Alistair avait raison, il ne fallait pas que je m'emballe.

     "On pourra quand même prendre une carte, fis-je remarquer, ce n'est pas moi qui pourrait te guider, je suis me suis déjà perdue dans la ville."

     Il acquiesça en rigolant, et je me mis à rire de plus belle.