CHAPITRE III

65 4 0
                                    


     Elle n'eut guère le temps de réfléchir, l'attaque fut lancée. Tous bondirent dans un brouhaha de cris et de griffes, se jetant dans la mêlée avec l'énergie de l'indignation, hurlant leur mépris et leur colère. Nuage Doré se glissa sous un ajonc solitaire, échappant à la vue des combattants ennemis, et rampa jusqu'au tronc.

     L'apprentie n'avait qu'une demi-lune d'apprentissage, elle ne connaissait encore que quelques mouvements défensifs. Se battre signifiait la mort. Plus tard, elle se jetterait sans hésiter au cœur de ce chaos pour défendre les siens, elle en était convaincue, mais là, elle était trop jeune, trop naïve. Inoffensive. Alors elle se contenta d'observer, les yeux écarquillés, le combat qui se déroulait sur le petit chemin du tonnerre.

     Queue Pommelée s'était dressé sur ses pattes arrières et assénait des coups terribles à l'un des mâles, le forçant a reculer. Rivière Gelée, elle, entraînait l'autre vers l'herbe grasse et humide de rosée du territoire de son Clan. Il la suivait, voulant l'atteindre, ne voyait pas qu'il quittait ses camarades et les terres arides en sa faveur. La jeune guerrière en profita pour le faire tomber dans un bruit sourd et lui lacérer les flancs laissés sans défense. La petite femelle dorée se surprit a ronronner, fascinée par la précision des coups et la vitesse des attaques. Si admirative, elle ne remarqua pas l'éclair argenté qui se jeta toutes griffes dehors sur la guerrière rousse et blanche et la força a lâcher son adversaire. Ce dernier gémit, se releva tant bien que mal, se secoua comme pour se débarrasser de minuscules gouttelettes, et s'éloigna en crachant :

  —   Je m'en souviendrais, Rivière Gelée, sois en sûre. Et je te ferais la peau !

     La menace siffla dans l'air doux, exhortant à la guerre. Nuage Doré se tapit un peu plus contre le sol, les oreilles plaquées en arrière et le poil hirsute, elle était certaine que tout cela n'était que le début. Les prémices, le commencement. Un regard bleu perçant la tira de ses inquiétudes, là, devant elle, l'inconnue de l'Assemblée !

     Elle la regardait sans un mot, haletante, les oreilles déchirées et le flanc barré d'une longue griffure écarlate. Rivière Gelée l'avait repoussé pour s'attaquer à la rivale de Queue de Serpent, et elle semblait s'être bien sortie de cette escarmouche éprouvante. Quel âge avait-elle ? Peut-être deux ou trois lunes de plus, pas moins. Les deux chattes se jaugèrent, l'une avec un regard indéchiffrable, l'autre avec effroi et curiosité. Nuage Doré l'avait vu se battre, elle savait y faire et n'aurait aucune pitié pour une novice inexpérimentée. L'inconnue s'avança, lentement mais avec détermination, le regard se fit plus dur, et elle sauta.

     Mais avant qu'elle ne puisse l'atteindre et se glisser dans sa cachette, son mentor feula :

  —   Nuage d'Argent !

     Aussitôt, celle-ci abandonna ses projets et couru vers la guerrière tigrée qui regagnait les collines en boitant. Elle ne lança même pas une oeillade à la petite tache dorée tapit sous l'épineux. Les combattants du Clan de la Lande fuyaient, ils reconnaissaient avoir perdu face à ceux de l'Étang. La novice sortit d'un pas léger quoique un peu tremblant de l'ombre protectrice, encore ébranlée par les derniers instants de la bataille. Ainsi, la femelle au pelage de lune s'appelait Nuage d'Argent. Mille interrogations tourbillonnaient dans son esprit, mais aucune réponse ne vint.

  —   Eh, tu vas bien ?

  —   Oui, ne t'inquiète pas Queue Pommelée, je vais bien.

     Le matou brun acquiesça et lui donna un coup de langue réconfortant sur la tête avant de s'éloigner vers ses guerriers. Rivière Gelée léchait ses blessures tandis que Queue de Serpent reniflait la frontière en grognant. Sa fourrure dorée était ébouriffée et son épaule saignait, mais il semblait s'en être bien sorti.

  —   J'ai fait comme tu m'as dit, je me suis cachée, miaula-t-elle en venant le voir.

  —   C'est b... Il y a bien une odeur dans ses ajoncs. La nôtre. Queue Pommelée ! appela-t-il, soucieux.

     Le lieutenant se rapprocha, bientôt imité par son ancienne élève. Ils reniflèrent avec attention les petites fleurs couleurs du soleil, échangèrent des regards, soupirèrent puis grognèrent.

  —   Tu as raison. Il faudra avertir Étoile Luisante et retrouver cet imbécile.

     L'assentiment fut donné et le père de Nuage Doré ordonna le retour. Cette dernière était éberluée de la nouvelle, elle s'était trompée, l'un de ses camarades était bien parti courir le lapin. Quel idiot ! songea-t-elle.

     On enseignait dès la naissance les règles à ne pas enfreindre, traverser une frontière en était une, surtout si le chef ne l'avait pas accordé. Et quel intérêt aurait-il eu à déclencher une guerre entre deux anciens alliés ? Non, la petite chatte ne comprenait pas. Pourtant, elle n'était pas très attachée à ce souvenir de paix et de batailles communes, sa mère Brise Nocturne y avait veillé, mais cette idée de créer sciemment une guerre fratricide lui paraissait absurde.

     Enfin, qui était-elle pour dire que ceci et cela était absurde ?

lgdcombredelune/Plume Vive

Une prophétie...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant