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La première fois que j'ai vu Min Yoongi, j'ai eu envie de lui flanquer mon pied aux fesses.

C'était à l'assemblée générale du lycée de Daegu, mon premier jour dans mon dernier lycée. Le proviseur nous débitait l'habituel baratin de tous les proviseurs de la terre dans ce genre de réunions : «les valeurs... la tolérance... la courtoisie...». J'en passe et des meilleures... Reveillez-moi quand il aura terminé! Et bien entendu, il conclut :

— Mais, assez parlé... Je ne te le fais pas dire! Je demande à présent à Min Yoongi de venir accueillir les nouveaux élèves.

Il s'est assis et ce gars est monté sur l'estrade. Pas mal, de taille moyenne, de belles épaules, des cheveux noirs. Mais son comportement dénotait tout de suite la haute opinion qu'il avait de lui-même.

Nous étions installés à Daegu depuis à peine une semaine, mais je savais déjà qu'il y avait un paquet de jeunes comme ce gars. On ne vit pas à Daegu si on n'a pas de fric, à moins de louer un des taudis situés près de la rivière... Comme nous! C'est à dire moi, Jung Hoseok, ma mère et John, son copain tout droit arrivé d'Amérique. Aller savoir comment ils se sont rencontrer.

Bref, ce mec se mit à parler comme un prince invitant ses serfs en son palais.

Si j'exagère? Pas le moins du monde.

— Je vous remercie, monsieur Kim. Au nom du lycée de Daegu, je suis heureux d'accueillir les élèves qui viennent ici pour la première fois. Je leur souhaite de découvrir que notre établissement est un lieu où...

Planté bien droit sur sa chaise, Kim le contemplait d'un air béat. Visiblement, il le trouvait «parfait». Moi, non! Je mourais d'envie de lui flanquer mon pied quelque part, tellement, que ma jambe droite en tremblait.

Le type à côté de moi m'adressa un coup d'œil ironique, le sourire aux lèvres.

— C'est qui ce gars? marmonnai-je.

Son sourire s'élargit.

— Yoongi! Il est membre du conseil de vie lycéenne, rédacteur en chef du journal, membre du club des Jeunes écrivains, de l'équipe de tennis et tout le tou-tim! T'as aucune chance.

Devant une telle énumération, ma jambe gauche, elle aussi, se mit à trembler.

— Qu'est-ce que...

Deux professeurs lorgnaient dans notre direction, je préférai me taire.

Prince Yoongi termina son discours et quitta l'estrade. Tous les profs applaudirent. Tous les élèves aussi, sauf moi. Le proviseur se leva pour ajouter son grain de sel.

— Grâce à la participation de chacun... Et bla et bla et bla... Faire de cette année, une grande année pour notre établissement...

«Si les petits cochons nous dévorent pas avant! Que John trouve du boulot. Ce sera déjà un grand pas vers une grande année! »

Kim quitta la salle et tout le monde se leva. Il était clair au premier coup d'œil que ce genre de cérémonial était une pratique courante au lycée de Daegu. Le proviseur adjoint se lança dans la lecture d'une série de communiqués. Je fis l'effort de ne pas moufter pendant sa prestation. Je sentais que ce serait une mauvaise idée.

Là encore, ce fut le bla-bla incontournable sur l'organisation des classes. Les seconde par-ci, les première par-là, les terminale de ce côté, les prépa de l'autre ; les nouveaux élèves doivent se présenter... Ect., ect.

Une femme en survêtement nous invita à rejoindre les associations sportives. Non, merci. Puis un autre prof se leva, un jeune type que j'avais remarqué, assis au deuxième rang. Je l'avais remarqué à cause de son crâne rasé et des deux anneaux qu'il portait à une oreille. À présent, je voyais même qu'il avait un tatouage sur un bras. Aucune ressemblance avec les clones traditionnels de la hiérarchie scolaire.

— Certains d'entre vous n'ont peut-être pas oublié que l'an passé, au dernier trimestre, nous avons créé un club des Jeunes écrivains. Si quelqu'un est intéressé, je signale que nous nous réunirons demain salle 21, à l'heure du déjeuner. À demain, j'espère.

«Un club des Jeunes écrivains.» Autour de moi, fusèrent quelques sarcasmes. Personnellement, je m'abstins. Après tout, j'écris bien des poèmes.

«Bizarre... Un mec qui écrit des poèmes?» Ça, c'est votre problème.

À mes yeux, la poésie est une des disciplines les plus difficiles qu'on puisse pratiquer. Trouver les mots exacts, être parfaitement honnête avec soi-même au lieu de roucouler sur les petits oiseaux qui volent dans le ciel bleu alors qu'on veut simplement dire qu'il y a des trucs vraiment merdiques ou simplement raconter sa vraie vie... pas facile mon gars! Pour moi, écrire des poèmes, c'est une des deux manières de découvrir la vérité sur soi-même. Je vous parlerai de l'autre plus tard.

Donc, salle 21, demain midi. Je classai l'info dans un petit coin de ma cervelle.

La réunion s'acheva enfin. Les élèves les plus jeunes bâillaient et clignaient des yeux en retrouvant le soleil. Des garçons bombaient le torse en se poussant du coude pour attirer l'attention des filles. Ces dernières gloussaient, d'autres criaient ou rejetaient leurs cheveux en arrière pour attirer l'attention des garçons... Le type assis à côté de moi à la réunion, me doubla en compagnie de deux autres mecs. Son short d'uniforme lui tombait si bas sur les hanches qu'il lui arrivait sous les genoux!

Je lui répondis d'un sourire en coin et prenant alors la direction du point de rassemblement des nouveaux élèves, je heurtai quelqu'un de plein fouet. Un garçon. Un parfum de peau fraîche mêlé de savon ou de talc me picota les narines. Des yeux foncés et un nez fin. Un cou délicat et le col d'un chemisier blanc. C'est Yo-je-ne-sais-plus-comment. Chunghee. Non, Yoongi.

J'allais m'excuser, mais quand je vis que c'était lui, l'envie de flanquer une correction à ce bout de nez fut la plus forte.

J'articulai un «pard...» que je voulus aussi modifier en «ôte-toi de là!» et qui s'acheva en «prout!». J'ai dû passer pour le crétin de service.

Lui ne prononça pas un mot. Il se contenta de me toiser de haut en bas. Exactement comme un prince contemple un paysan de retour des champs après avoir retourné le fumier. Son regard me détailla de la tête aux pieds et retour, puis il se détourna et s'éloigna.

Dans mon dos, deux filles éclatèrent de rire. La colère m'échauffa la gorge. Je serrai les poings. Cloué sur place, je regardai disparaître à travers la cour le chemisier blanc et les cheveux noirs. Sous ce pantalon bleu de l'uniforme du lycée, les jambes bougeaient avec souplesse. Comme quelqu'un qui sait parfaitement où il se rend.

Inconscient de la chance qu'il avait de ne pas s'y retrouver plus vite! Si j'avais eu plus d'esprit d'à-propos, ces jolies fesses sous le pantalon bleu auraient connu la marque de mon pied! L'occasion idéale de célébrer le coup d'envoi d'une grande année au lycée de Daegu! Du moins, en ce qui me concerne!

FAUSSE NOTE yoonseokOù les histoires vivent. Découvrez maintenant