II

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À peine rentré à la maison, cet après-midi-là, je suis parti faire une longue balade à vélo. Je ne voulais pas traîner dans les pattes de John. Maman et lui restaurent les parties les plus anciennes, les plus truffées de fuites et les plus sales de notre Hilton une étoile. Le propriétaire a promis de diviser le loyer par deux tout le temps des réparations...

J'avais aussi besoin de me débarrasser du sentiment inconfortable que me laissait Min Yoongi. J'ai la chance d'avoir ce fabuleux vélo : vingt-deux vitesses, roues en titane, pneus de route. Une occasion en or que j'ai achetée avec l'argent gagné en aidant John lorsqu'il avait son affaire de livraison de lait à domicile.

Pédaler à quinze ou vingt kilomètres à l'heure, c'est l'autre manière de découvrir des trucs sur moi-même. Quand les cuisses te font mal, que les jambes te cuisent, que ton cœur bat à t'en déchirer la poitrine ; alors, là, je te jure que tu découvres ce que tu as dans le ventre.

Je gravis en ahanant la côte qui partait de notre gentilhommière délabrée et fonçai à travers le quartier commerçant. Deux bonnes femmes en tailleur, qui traversaient la rue entre une boutique d'antiquaire et un salon de thé, furent forcées de s'arrêter pour me laisser passer. Au dernier moment, je fis une embardée pour les éviter et chacune me gratifia d'un regard mauvais.

Sur la toute sinueuse qui suivait une corniche, je pus enfin passer le grand braquet et filer le long de maisons, tout droit sorties d'un décor hollywoodien. Allées de gravier, constructions à deux étages avec hautes baies vitrées, deux, pardon, trois garages, piscines, arbres majestueux et vastes pelouses... Une autre femme, au volant d'une BMW, sortit d'une de ses propriétés. Piquant droit sur elle, je l'obligeai à freiner. Et hop! Un troisième regard furibard, un!

Certaines maisons plus anciennes, style cabines de bains, se retrouvaient coincées au milieu des grandes villas.

«Je parie que les parents de Min Yoongi en ont une aussi!» Mon pied droit s'agita sur le pédalier ; la rage me rejeta sur mon guidon et je partis au sprint.

En rentrant à la maison, je transpirais, j'avais mal partout, mais je me sentais hyper bien. Dans la cuisine, John épluchait des haricots.

— On devrait t'acheter un vélo d'appartement, Hoseok! suggéra-t-il en riant. Je te brancherais deux petits accus, ça diviserait la facture d'électricité par deux!

Je vous ai peut-être donné une fausse image de John. C'est un chic type. En ce moment, il est un peu déprimé parce qu'il ne trouve pas de boulot et aussi parce qu'on a été obligés de quitter notre appartement : un type plein de thunes l'a acheté pour le démolir et construire un immeuble à la place. Encore une raison pour laquelle j'en collerais volontiers une à des gens comme cet arrogant de Min Yoongi.

Maman surgit de la salle de bain qu'elle était en train de repeindre. Chez nous, faut rien laisser traîner sinon Maman est capable de le repeindre! Se dressant sur la pointe des pieds, elle me plaqua un baiser sur la joue.

Je suis grand et Maman... pas très!

— Je t'ai pas vu de la journée, toi! Ça s'est passé comment ce premier jour?

— Pas mal.

C'était la vérité. Ça ne s'était pas mal passé, excepté le face-à-face avec un certain prétentieux. J'avais pu choisir les options que je voulais. En particulier, TIC : technologie, informatique et communications, c'est-à-dire les ordinateurs et tout le tou-tim. Quand on veut devenir poète, faut se tenir informé sur le progrès de la science!

À ce sujet, hier soir, pendant que John et Maman établissaient un plan de campagne pour trouver du boulot, moi, je planchais sur un poème. J'avais déjà réfléchi aux premiers vers au cours de ma balade à vélo.

  Déambuler du côté des voiliers
  Des nantis et des bien nés.
  Rôder du côté de l'oseille,
  Où les filles sont douces comme le miel...

D'accord, c'est pas terrible mais je suis nul en rime. En plus, les filles d'ici sont bien trop imbues d'elles-mêmes pour être douces comme le miel. Elles ressemblent plutôt à ces fameux carrés de chocolat à la menthe : écœurantes et emballées dans du papier d'argent!

Ce matin, Maman est partie de bonne heure au bureau de l'agence pour l'emploi.

Un jour où il était en verve, John avait lancé :

— À l'agence pour l'emploi, on n'ploie pas sous le poids des emplois!

Mais, là, il a serré Maman dans ses bras en lui disant :

— Montre-leur de quoi tu es capable, Cha chérie.

[...] Je me suis rendu à l'école à pied. C'est pas dans mes habitudes de m'exhiber avec mon vélo devant les autres élèves. De toute façon, ici, à Daegu, ils ne le remarqueraient même pas ; presque tous viennent en voiture ; elles encombrent les bas-côtés de la route sur une centaine de mètres et la majorité semble plus neuve que la vieille caisse rouillée de John.

Les courts de tennis étaient déjà envahis de filles et de garçons en train de servir et d'échanger des balles. De bons joueurs. Normal, ils prenaient forcément tous des cours privés!

Je ralentis le pas pour les regarder. D'habitude, les filles qui font du tennis ont de jolies jambes. Puis je partis repérer la salle 21 où devait se réunir le club des Jeunes écrivains, à l'heure du déjeuner.

Ma deuxième heure de cours de la journée était consacrée aux technologies informatiques. À peine entré dans la salle, mon voisin de l'assemblée générale me salua d'un clin d'œil.

— Re-bonjour! Je m'appelle Taehyung. Kim Taehyung.

— Jung Hoseok!

Le type, enfin, Taehyung, me tendit la main.

«Du pur style Daegu...»

Je me dirigeai vers un bureau au deuxième rang.

— Non, fit Taehyung, premier rang, mais contre le mur. Comme ça, tu donnes le change. Les profs croient que tu t'intéresses, et c'est moins facile pour te surveiller!

Il m'adressa un long clin d'œil complice, cette fois. Je souris. Ce gars était sympa.

À l'heure du déjeuner, je partis traîner dans le couloir de la salle 21 jusqu'à ce que je voie deux filles y entrer. Je les suivis.

Le jeune prof au crâne rasé et aux anneaux dans l'oreille était là, près de son bureau. Il y avait aussi une douzaine de filles, plus un petit maigre et un grand maigre! Les écrivains, ça existe dans toutes les tailles et dans toutes les formes.

Les filles étaient plutôt bien roulées. Un beau brun me sourit. D'un côté, se trouvait une grande blonde. De l'autre, un garçon aux cheveux noirs. Merde! Min Yoongi.

Je le vis un quart de seconde avant qu'il ne me remarque, mais, cette fois, je ne me laissais pas démonter. Au moment où son regard se posa sur moi, je le dévisageai de haut en bas. De la tête aux pieds et retour. Exactement comme lui, la veille. Puis je tournai la tête et je m'assis en face du beau brun. Juste avant de me détourner, j'eus le temps de voir Min Yoongi pincer ses lèvres et me lancer un regard meurtrier. Quant à moi, j'arborai un large sourire. Fier de moi.

FAUSSE NOTE yoonseokOù les histoires vivent. Découvrez maintenant