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Une semaine, pardon, neuf jours s'écoulèrent. Neuf jours bien remplis.

Chaque matin, Maman partait pour le cabinet du docteur Kim.

Un soir, au bord de l'hystérie, elle raconta à John l'histoire de cette fille de quinze ans, qui était anorexique.

— Elle n'a que la peau sur les os, mais elle s'oblige à vomir tout ce qu'elle mange et à prendre des douches glaciales parce qu'elle s'imagine que ça va l'aider à «maigrir»!

John s'occupait de discipliner la «jungle» du docteur Kim, en plus, il travaillait chez des amis à lui et, bien sûr, chez les Min. Monsieur Min fit plusieurs voyages à l'étranger. S'il avait passé un peu plus de temps chez lui, peut-être aurait-il remarqué ce qui s'y passait. Peut-être...

[...] Il y eut deux mardis de travail avec les Jeunes écrivains. Baekhyun y lut un truc horrible mais génial, destiné au concours littéraire : l'histoire d'un type, dans un avion, qui souffrait d'un monstrueux saignement de nez. Il était en train de se le curer quand l'avion était passé dans un trou d'air! Jungkook présenta un joli poème sur la rencontre de deux garçons dans une soirée... Taehyung! Il me gratifia d'un petit sourire narquois.

Yoongi... Moi? En fait, on se contenta de récupérer d'autres textes pour le journal de l'école. M. Do fit quelques commentaires satisfaits.

La détermination qui m'animait ne m'avais pas quitté. Je devinais la même chez Yoongi, à voir la pression qu'il s'imposait. Ça, je pouvais comprendre facilement : à mon arrivée à Daegu, moi aussi, je voulais donner le meilleur de moi-même. Mais cette façon qu'il avait de se retourner contre lui-même dès que les choses ne marchaient pas comme il l'entendait... Ça, il fallait que ça cesse.

On a parlé de son audition de piano : le truc de Beethoven. J'ai fait une copie du disque. La première fois où je l'ai écouté, John a passé la tête à la porte de ma chambre.

— Tu...? Ce truc...? C'est toi qui...?

Et il a disparu!

Yoongi devait interpréter la partie lente d'un morceau intitulé la sonate Au clair de lune. Il faisait à peine cinq minutes mais on pensait tout de suite à un ruban de lumière argentée ondulant la nuit à travers la forêt, et sans transition j'imaginais aussitôt Yoongi errant parmi les arbres, vêtu, ou plutôt dévêtu... oui, bon... arrêtons-nous là.

Et puis je repensais à cet autre concert, celui du lycée, où il s'était planté.

Je suis allé deux fois chez lui.

Un samedi, j'ai même été invité à déjeuner. Au moment de partir, Maman m'a retenu par le bras.

— Pas question que tu y ailles avec ce vieux tee-shirt! a-t-elle déclaré en me donnant haut beige, pas mal, d'ailleurs.

John s'apprêtait à ma balancer un sourire moqueur quand il se ravisa.

— Mais... c'est le mien!

Déjeuner chez les Min était un véritable test. Un test que Mme Min espérait bien me voir rater afin que son fils comprenne enfin quel petit minable j'étais. Alors, vous pensez si j'étais déterminé à m'en sortir avec les honneurs.

M. Min me fournit de l'aide. Il devait partir le lendemain. Pour Singapour ou Hongkong ou ailleurs et il en parle des heures.

— Ce sont des lieux d'avenir, Hoseok. Tu ne deviendras jamais riche en écrivant des poèmes!

— Offrez-moi les billets, je vous suivrai partout et j'écrirai des poèmes sur tous les endroits que vous visitez!

Il éclata de rire.

Il était si visiblement fier de Yoongi. Il le charriait à tout bout de champ et lui répétait qu'il réussirait son concours les doigts dans le nez... Pas étonnant qu'il ne voulût pas qu'il soit au courant de ses... problèmes. Mme Min me faisait presque pitié. C'est à peine si M. Min lui prêtait attention. À une ou deux reprises, je l'observai du coin de l'œil : elle regardait dans le vague avec une expression un peu perdue. La seconde fois, elle surprit mon regard et se redressa aussitôt.

— Yoongi, mon chéri, enchaîna-t-elle tout aussi vite, c'est l'heure de tes exercices. Je suis sûre que... Ah... Hoseok comprendra.

Je ne m'étais pas fait une copine.

Je lus des poèmes. J'en écrivis.

Je rapportai Ennemis intimes à la bibliothèque du lycée. Je ne voulais pas qu'on me colle une pénalité de retard...

D'ailleurs, je l'avais pratiquement fini. J'en avais même recopié des passages.

Comme les filles, c'est presque toujours des filles, avaient honte de faire des trucs pareil. Ça, c'était exactement Yoongi. Ou comment une fille, lorsqu'elle était au fond du trou, s'arrachait les cheveux par poignées entières. Ça, ce n'est pas Yoongi et ça ne le sera jamais.

J'essayais de le traiter le plus naturellement possible. J'éprouvais même un certain plaisir à me moquer de lui. Une fois, alors que je venais de déclarer que la musique de Beethoven serait bien mieux soutenue par un solo de batterie, il me toisa des pieds à la tête, exactement comme le jour de notre première rencontre.

— Tu ressembles à un aristocrate constipé quand tu fais ça!

Pas difficile de deviner que jamais personne n'avait parlé de cette manière à Min Yoongi.

On s'est retrouvés seuls à deux occasions et chaque fois, je me suis risqué à chercher s'il avait de nouvelles ecchymoses ou de nouvelles plaies. Je sais, c'est assez ignoble mais, de toute façon, je l'observais même quand il n'y faisait pas attention.

Comme la fois où on est allés dans la petite réserve, pas loin de chez lui, celle du sommet de la falaise, découverte quelques semaines plus tôt, au milieu des arbres et des buissons. On s'était retrouvés là, comme par hasard, et on s'était lancés dans un flirt assez poussé.

Il avait glissé une main sous la chemise et la promenait le long de mon dos, comme la première fois. Quant à moi, j'avais jeté mes scrupules par-dessus mon épaule, «la barbe!», et soulevé le dos de son chemisier hors de son pantalon.

Yoongi avait sursauté.

— Qu'est-ce que tu fais?

— Je soulève ton chemisier... Il n'avait pas bougé, suite à mon moyen de mentir. Je veux faire comme toi...

Et j'avais posé ma main contre la peau douce de son dos.

Il s'était détendu.

— C'est agréable... mais pas question d'aller plus loin. Sinon, mon genou saura où frapper... et vite!

Je ravalai ma salive. Exactement comme Taehyung.

En somme, ces neufs jours furent plutôt agréables. Et ils auraient pu l'être bien davantage sans ce fichu concours de piano qui se profilait à l'horizon.

FAUSSE NOTE yoonseokOù les histoires vivent. Découvrez maintenant