XXIV

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Bien sûr, vous devinez ce que j'ai fait à peine rentré chez moi? J'ai écrit un poème! Tt, tt, tt! Je ne vous le montrerai pas, la page risquerait de prendre feu! Difficile tout de même de ne pas sourire devant l'ironie des choses...

«Montre à Yoongi qu'il te plaît. Prouve lui qu'il a du succès», m'avait recommandé le docteur Kim. Alors, bien obéissant, je lui ai montré qu'il me plaisait et que du succès, il en avait, en tout cas auprès de moi! Ça peut paraître prétentieux, mais c'est sincère.

Plus tard, dans la soirée, lorsque Maman est rentrée, qu'elle m'a demandé des nouvelles de Yoongi, je lui ai raconté les événements en détail. Enfin, pas tous les détails.

Elle a hoché la tête.

— Le docteur Kim dit que si, après son audition, Yoongi file à l'anglaise, il faudra te montrer très vigilant. Surtout, s'il n'a pas très bien réussi.

Je voyais parfaitement à quoi elle faisait allusion. Je repensai à cette trousse de premiers secours. Mais était-ce valable pour quelqu'un qui était une sorte de bombe à retardement?

[...] M. Min rentra par le vol du jeudi d'un périple dans une demi-douzaine de pays. C'est ainsi que Yoongi me le raconta le vendredi. Ouais, il m'adresse encore la parole! Il était tellement heureux qu'il soit de retour, j'en étais presque jaloux.

Et vous ne croirez jamais ce qu'il avait fait au cours de son voyage. Il était allé sur place voir les facultés de médecine de Singapour et de Hongkong, au cas où Yoongi ne serait pas reçu en Nouvelle-Zélande.

J'en suis resté sidéré quand il me l'a raconté. Mais quel soulagement de le voir hocher la tête en éclatant de rire...

— C'est dingue, non? dit-il. Au fond, il laissera peut-être tomber cette histoire de médecine lorsqu'il aura la preuve que je ne peux pas non plus devenir concertiste.

Je n'avais pas grand-chose à répondre à ça.

[...] Vendredi après les cours, Yoongi avait une dernière répétition. Je suis allé traîner en ville avec Taehyung. C'était devenu une sorte de tradition, d'autant plus que Jungkook l'accaparait tous les week-ends.

— Yoongi et toi, vous faites vraiment la paire, pas vrai, Hope? C'est bien pour lui.

Je lui adressai un regard surpris.

— Pourquoi?

Il prit un air gêné.

— Euh... bah... il est beaucoup moins crâneur maintenant. Jungkook le pense aussi.

Alors, comme ça, Jungkook, lui, Lisa, ils nous avaient tous observés à la loupe... Les gens sont vraiment cachottiers.

[...] Samedi matin, Yoongi me téléphona. La voix suraiguë, mais il avait des excuses!

Et, écoutez ça, j'étais invité chez lui après l'audition!

Et comme par hasard, ladite invitation ne m'était faite qu'après le retour de M. Min.

L'audition commençait à quatorze heures.

John a ronchonné toute la matinée parce qu'il ne savait pas quoi mettre.

— Ton chapeau de jardinier! finit par lancer Maman en m'adressant un clin d'œil.

Notre vieille bagnole rouillée faisait un peu minable parmi les BMW et les Audi, garées devant l'auditorium du centre culturel de Daegu. La salle de concert était moitié moins grande que la salle de réunion de notre lycée. Des rideaux sombres tombaient le long des murs. Un piano à queue noir se dressait sur le côté d'une scène assez basse. Les sièges qui occupaient le reste de la salle étaient tous occupés.

J'aperçus le père de Yoongi qui nous faisait signe de le rejoindre et je suivis Maman et John.

Yoongi portait un pantalon noir et un haut vert foncé. Ses cheveux brossés avec soin. Il semblait si parfait, si sûr de lui. J'aurais voulu couvrir son corps de caresses.

Min Taemin nous accueillit à grands renforts de sourires et de poignées de main. Maman se montra d'une politesse exquise vis-à-vis de la mère de Yoongi.

— Nous aussi, on s'est entraînés, commenta John.

Comme Mme Min le dévisageait sans comprendre, il précisa :

— Quand ce sera à Yoongi, on criera pour l'encourager : «1, 2, 3! Yoon-gi-on-compte-sur-toi!»

M. Min éclata de rire. Sa femme ne savait pas sur quel pied danser.

— Le fan-club de Yoongi! s'exclama M. Min en tapotant la main de son fils.

Je réussis à m'asseoir à côté de lui. Son genou contre le mien.

Par moments, je le sentais frissonner. Eh oui, je lui fais cet effet-là!

— Je joue en neuvième... chuchota-t-il.

Il chuchota parce que les conversations diminuaient. Trois personnes venaient d'entrer et s'asseyaient aux tables situées face au public. Le jury, sans doute. Un type barbu et deux femmes... sans barbe!

La plus grande des deux femmes se leva, nous souhaita la bienvenue et donna lecture dans l'ordre du nom des interprètes puis elle demanda à la première personne, une jeune Chinoise à lunettes, de monter sur scène. Certaines musiques provoquent chez moi une simple lassitude et d'autres, un sentiment d'ennui profond.

Un grand type maigre manqua se prendre les pieds dans un tabouret à la fin de sa prestation. Il y avait deux filles du lycée de Daegu, comme l'expliqua la femme dans sa présentation. Bonnes interprètes, mais Yoongi pouvait faire beaucoup mieux.

Ensuite, il y eut un autre garçon. Râblé, trapu, taillé comme un rugbyman. Dès les premières notes, j'ai sursauté. C'était le même morceau que Yoongi, le truc de Beethoven.

La même musique claire, pure, à vous coller des frissons, inonda la salle. La partie calme d'abord, puis la montée en crescendo vers les fameuses marches.

Le gars faisait des erreurs, j'étais capable de les détecter, mais il prenait des risques, il jouait avec son cœur autant qu'avec sa tête. À la fin, il fut très applaudi et regagna son siège en trottinant.

— Il est bon! souffla Yoongi.

— Toi aussi! rétorquai-je sur le même ton.

Deux autres filles suivirent, dont une, si petite que la grande femme dut la faire attendre pour descendre du tabouret au cran le plus bas. Dans le public, quelques rires fusèrent. La fille se lança dans un morceau court, joyeux et pétillant comme une bulle de champagne, puis quitta la scène en riant.

Yoongi tenait sa partition dans une main. Je pris son autre main dans la mienne, me fichant éperdument du regard de sa mère.

— Et maintenant, annonça la grande bringue, Min Yoongi qui va également nous interpréter le premier mouvement, l'adagio, de la sonate Au clair de lune de Beethoven.

La silhouette vert sombre se leva.

— Vas-y, Yoongi! s'exclama John, ce qui lui valut quelques regards étonnés.

Le tabouret fut ajusté. Il s'avança vers le piano, s'assit, disposa sa partition,

Il rejeta certaines de ses mèches, ramena les mains au-dessus du clavier et se mit à jouer.

FAUSSE NOTE yoonseokOù les histoires vivent. Découvrez maintenant