XV

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Et ce fut ordinaire. Il n'y a pas d'autre terme.

Il joua avec soin, avec concentration. Sans fausse note ni erreur, comme lors de la réunion scolaire ou chez lui, mais il ne peut pas le moindre risque non plus, à l'inverse du rugbyman. Non, ce fut tout simplement ordinaire.

Enfin, ce fut tout de même très beau! Yoongi navigua avec aisance d'un bout à l'autre de cette délicate mélodie d'une nuit d'été. Il franchit même les fameuses marches avec plus de maestria que le joueur de rugby. John fut impressionné. M. Min aussi, qui demeura tendu comme un arc sur le bord de son siège durant toute la prestation. J'eus la brusque révélation de l'importance qu'avait pour lui la réussite de son fils. La glaciale et impeccable Mme Min était assise droite comme un «i», mais la tension qu'elle dégageait était tout aussi perceptible.

À la fin du morceau, Yoongi demeura un instant immobile avant de ramasser sa partition et de revenir s'asseoir auprès de nous. Le public applaudit poliment.

— Joli travail! chuchotai-je tandis qu'il s'asseyait le dos droit, les mains posées bien à plat sur ses genoux, tenant serrée la partition.

— C'est fini, Hoseok.

Sa voix était si feutrée que je dus me pencher pour entendre «fini».

Il y eut encore deux interprètes, puis le public put se lever pour se dégourdir les jambes. Certains participants vinrent discuter avec Yoongi. On ne connaîtrait le nom du gagnant que d'ici à deux jours, lorsque l'ensemble des concurrents aurait joué.

Le rugbyman fit son apparition.

— Je t'ai aperçu sur ton vélo. Je fais partie du club cycliste de Daegu, course par équipes. Ça te dirait de te joindre à nous?

Je le regardai pris de court. M. Min me hurlait a l'oreille :

— Tu es invité chez nous, Hoseok, n'oublie pas! En l'honneur de mon talentueux fils.

Et il passa un bras autour des épaules de Yoongi.

Maman et John se dirigeaient vers la sortie. Elle me lança un de ses regards complices et il déclara :

— Bravo, Yoongi! Tu peux venir jouer à la discothèque quand tu veux!

Le regard glacial de Mme Min se réfrigéra encore d'un degré.

On est montés dans la grande Audi rouge. J'aurais peut-être dû m'essuyer les pieds avant! M. Min conduisait. Il était en grande forme, il racontait des anecdotes sur son voyage, comme celle de l'hôtesse de l'air qui annonça : «Nous allons atterrir à... où, déjà...?»

Assis à côté de moi sur la banquette arrière, Yoongi ne disait rien. C'était si spacieux qu'on aurait facilement pu s'allonger, si ses parents n'avaient pas été là... Ce fut sa mère qui posa la question.

— Alors, Yoongi, que penses-tu de ta prestation?

Et Yoongi prononça le mot à haute voix.

— Ordinaire. Simplement ordinaire.

— Nous verrons bien, répliqua sa mère.

M. Min le regarda dans le rétroviseur.

— En tout cas, moi, je t'ai trouvé magnifique, mon chéri.

Quant à moi? J'étais admiratif. Yoongi avait joué de manière ordinaire et il était capable d'en parler dans ces termes. C'était ça, qui était magnifique.

Dans l'immense salon, il y avait des petits-fours et des minisandwichs dont la croûte avait été découpée, du café, du vrai, pas du soluble, servi dans des tasses aux anses ourlées en courbes compliquées. J'observais les autres invités pour voir comment ils tenaient leur tasse, sans pour autant quitter Yoongi des yeux.

FAUSSE NOTE yoonseokOù les histoires vivent. Découvrez maintenant