Chapitre 2.2

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Évidemment, c'était sans compter le fait de devoir me retrouver enfermée seule dans une voiture avec monsieur beau gosse. Depuis mon appartement du centre ville, il n'y avait qu'un petit quart d'heure de route pour rejoindre les quais, mais, à la minute où j'avais fermé ma portière, j'avais regretté l'air libre. Je ne suis pas tout à fait claustrophobe, seulement parfois -comme maintenant- être coincée dans un espace clos ne joue pas franchement en ma faveur. J'étais « tendue comme un string » comme aurait dit mon amie Alice, championne toute catégories des interventions délicates. Je tentais de respirer un grand coup pour me détendre. Mauvaise idée. Son odeur était partout. Fraîche et végétale, un peu poivrée. Comme s'il s'était roulé dans l'herbe avant de venir. Je me demandais si tous les loups sentaient comme ça, et, si oui, si c'était parce qu'ils partageaient la passion secrète d'aller folâtrer dans les prés quand on avait le dos tourné. Cette image fit frémir mes lèvres en une ébauche de sourire. J'avais besoin de ça.

Nous n'avions pas échangé un mot depuis le démarrage de la voiture et, dans l'habitacle confiné du véhicule, je pouvais sentir son énergie vibrer dans mon ventre. Je n'avais pas souvent rencontré de loup-garou dans ma vie. Quelques-uns pour mes études, qui avaient été assez patients pour se laisser bombarder de questions -et même y répondre parfois!-, et une vieille dame qui allait tous les jours acheter son pain à la même boulangerie de quartier que moi. J'avais par accident effleuré sa main en lui rendant une pièce tombée par terre, et, en croisant ses yeux bruns et chauds, j'avais su qu'elle savait que je savais. Vous voyez ce que je veux dire. « Oh, Mère-Grand, que vous avez de grandes dents ! » Avais-je pensé sur le coup.

Mais ayant peur qu'elle le prenne mal, et que la boulangère ne la laisse pas remettre les pieds dans sa boutique, j'avais fermé mon clapet. Depuis, à chaque fois que je la croise, ses yeux brillants me sourient, et elle s'en retourne chez elle avec sa démarche claudicante, son éternel châle gris et sa baguette sous le bras, l'air positivement ravie que je garde son petit secret. Quoi qu'il en soit, n'irais pas asticoter cette mamie là, si j'étais vous.

De nos jours, les garous sont assez instables. La magie et l'influence de la lune les force à se transformer une fois par mois, ce qui n'était pas le cas avant la libération. La lycanthropie étant principalement transmise par hérédité, ils n'étaient pas nombreux, et certains n'étaient même pas conscients de ce qu'ils étaient. Depuis, ça a bien changé. A cause du manque de contrôle des nouveaux garous, le nombre de contaminés a explosé, au point que le gouvernement envisage une loi obligeant tout lycanthrope à appartenir à une meute et à suivre un programme de « contrôle de soi » jusqu'à ce que son parrain lui donne le feu vert pour retourner à la société civilisée. Mouais. Un mélange de service militaire et d'Alcooliques Anonymes en gros... Certains crient à l'atteinte à la liberté, d'autres au droit à la sécurité... Moi, comme je ne suis pas garou, je n'ai pas d'avis tranché sur la question.

J'observais furtivement le profil parfait de mon chauffeur. Le trafic était fluide, et la vie nocturne de la ville défilait sans accroc derrière les vitres, tandis qu'il conduisait à gestes prudents et concentrés. Ses cheveux passaient du gris au doré scintillant dans la lumière orangée des lampadaires. Pas un seul instant je n'avais pensé, avant de venir, que partir seule en voiture avec un inconnu -garou de surcroît- pouvait être dangereux. Pitoyable cruche. Il avait suffi d'un beau minois pour que je me jette, littéralement, dans la gueule du loup. Une petite sueur froide me remonta le long du dos alors que j'imaginais ce qui pourrait m'arriver.

Le loup en question me glissa un regard en coin.

« - Je peux sentir la peur, vous savez...

Je déglutis. Ouais, je le savais. Et je savais aussi que la peur excitait très facilement leur partie primaire. Un bon cocktail pour une réaction en chaîne catastrophique.

- Désolé, marmonnais-je, petit conflit intérieur avec mon instinct de survie...

Il haussa un sourcil surpris, qui le fit passer de « potentiel prédateur en puissance » à « oh oui mangez moi s'il vous plaît ». Vraiment, je n'avais plus aucun respect pour moi-même.

- Je me contrôle parfaitement, si c'est ce à quoi vous pensez.

Son petit sourire en coin m'irrita. Décidément, ce type me faisait jouer aux montagnes russes. Mais son air suffisant eu le mérite de me rassurer. Un peu. S'il était sûr de lui à ce point, c'est qu'il était certainement capable de se tenir. Probablement... Je ne pus néanmoins m'empêcher de railler, premièrement parce que j'étais un peu trop stressée, deuxièmement, parce qu'on a pas le droit d'être beau et suffisant. C'est très énervant.

- C'est ce qu'ils disent tous, avant de vous enterrer au fond du jardin...

Alors, il gara la voiture, et je crus que mon estomac allait essayer de se barrer sans moi quand il se retourna sur son siège. J'aurais mieux fait de la fermer.

- Nous sommes arrivés. Dit-il simplement.

Ah.

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