Chapitre 5.3

213 30 5
                                    



Lentement, précautionneusement, Grey détacha une à une ses griffes de la gorge de Kilian. Il ne prononça pas un mot, toujours aussi pâle que la mort. Le brun s'écarta sans faire de gestes brusques, et le loup ne l'en empêcha pas.


– Tu ne crains plus que je te tues ? Fit Kilian en se massant la gorge d'un air circonspect.


La réponse de Grey ne fut qu'un murmure, comme s'il s'adressait plus à lui-même qu'à nous.


– Je suis déjà mort, de toutes façons.


Il avait les yeux perdus dans le vide, et ne cherchait plus à lutter, vaincu, même si j'avais du mal à comprendre pourquoi.


Agenouillé sur le parquet du salon, toujours empêtré dans les liens charbonneux de Kilian, on aurait dit l'incarnation même de la défaite.


Je fronçais les sourcils. Il avait attaqué mon meilleur ami. Il m'avait piégée et probablement fait quelque chose d'irréparable, que j'avais toujours du mal à saisir. Mais malgré ça, cette vision m'était douloureuse. Il est difficile d'avoir peur et pitié de quelqu'un en même temps. En tout cas moi, je n'y arrive pas. Je ne le considérais déjà plus tout à fait comme une menace, et Kilian m'en aurait peut-être voulu pour ça, mais c'était trop tard.


Je croisais les bras sur ma poitrine, hésitant à prononcer les mots, mais je voulais vraiment savoir.


– Qu'en est-il de cette explication ?


Le loup releva son regard d'ambre égaré vers moi, et je pus presque le voir rassembler les morceaux éparpillés de son être pour reprendre une contenance. Lorsqu'il fut prêt, il hocha la tête. Il paraissait résolu, même s'il me semblait distinguer comme une fêlure dans son attitude. Je n'ai jamais été une grande psychologue. Kilian et Alice sont bien meilleurs que moi à ce jeu là, quand ils s'en donnent la peine. Mais je pouvais tout de même deviner que quelque chose s'était brisé, décomposé dans ces gestes abandonnés et ce regard éteint.


J'envoyais un coup d'œil entendu à Kilian qui s'était relevé, et se tenait toujours le cou comme s'il sentait encore les griffes du loup se contracter dessus. Ce qui était probablement le cas. Mon ami grimaça, mais fit de mauvaise grâce un geste vers les liens qui entravaient Grey. Les rubans de carbone se désagrégèrent en une fine poussière grise, qu'il rassembla dans sa paume en un petit cube noir et compact. Malgré l'étrangeté de la situation, je ne pus m'empêcher de penser qu'il était vachement pratique, ce pouvoir...


Il nous invita ensuite d'un mouvement de tête à passer dans la cuisine. Grey passa devant, parce que Kilian refusait de lui tourner le dos, et je fermais la marche, parce qu'il refusait aussi que je m'approche trop près du loup... Visiblement, il prenait son rôle de garde du corps très au sérieux.


Lorsque nous dépassâmes la porte d'entrée, je pus observer la carapace qui la recouvrait se changer elle aussi en fines particules, qui allèrent grossir le petit cube dans la main de Kilian. Chaque nouvelle manipulation s'accompagnait un petit chatouillement au creux de mon ventre, mais je commençais à m'y faire.

CaliceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant