Je pris le téléphone du bout des doigts, hésitant entre raccrocher au péril de ma vie ou m'enfuir en courant. Je n'avais pas rebranché mon portable depuis la veille, et Alice n'était pas du genre à appeler Kilian sans une très bonne raison. Ces deux là ne s'étaient pas rencontrés très souvent, mais ça avait suffi pour qu'ils se détestent cordialement.
Mon amie Alice est une petite chose blonde et délicate. Depuis son gabarit de poupée, en passant par ses grands yeux myosotis, sa bouche en cœur et sa garde-robe de petite fille sage, jusqu'au bout de ses ongles soigneusement vernis, elle cultive le mythe de la fragile innocence d'une main d'experte.
Du moins, c'est ce dont elle a l'air tant qu'elle n'ouvre pas la bouche. Parce qu'à l'intérieur de cette enveloppe gracile et raffinée se cache un véritable démon. Au sens figuré. Alice est humaine, mais très franchement, je pense que certains pourraient en prendre de la graine.
Elle m'a avoué un jour que sa plus grande passion dans la vie, c'était d'observer les yeux de ses interlocuteurs s'emplir d'horreur quand ils réalisent que son apparence n'a rien à voir avec sa personnalité. Ça vous annonce la couleur.
Alice n'est ni douce, ni gentille. Elle n'est pas très tolérante, et n'a de patience que pour son boulot. Mais malgré ça, c'est ma meilleure amie pour tout un tas de raisons. Elle est d'un humour décapant et d'une franchise brutale que j'apprécie vraiment chez elle. Peu de gens peuvent se vanter d'être parfaitement honnêtes. Alice, oui. Et pour cette même explication, vous n'avez pas envie de vous la mettre à dos.
J'allais me prendre un savon monumental. Encore.
J'inspirai un grand coup avant d'approcher le combiné de mon oreille, affichant un sourire contrit qu'elle ne pouvait probablement pas voir. Je dis bien probablement, car Alice est une voyante plutôt douée. Malgré ce qu'on pourrait croire, un don comme le sien est assez rare, et depuis qu'elle a commencé à bosser, on se l'arrache aux quatre coins du pays.
- Salut Alice, fis-je en tentant de prendre un ton léger.
- Salut mon cul, Kal ! Hurla le téléphone en réponse.
Je ne pus pas m'empêcher de rentrer la tête dans mes épaules.
- J'étais morte d'inquiétude! Il se passe quoi, bordel !? Je ne te vois plus, Kaly ! Ça fait des heures que j'essaie de te joindre ! DES HEURES ! Et toi, dans ta misérable cervelle d'imbécile heureuse, tu n'aurais pas eu le moindre soupçon de brillante idée de rebrancher ton putain de téléphone !?
Sa voix montait en volume en même temps que dans les octaves. Comme Kilian un peu plus tôt, j'écartais l'appareil en grimaçant avant qu'Alice ne m'inflige des séquelles auditives irréparables. J'appuyais sur le petit bouton vert du haut-parleur pour tenir l'engin infernal à distance raisonnable en attendant qu'elle se calme.
- Désolée Alice...tentais-je. J'étais un peu trop chamboulée pour y penser...
- Un peu chamboulée ? Fulmina le téléphone démoniaque. Un peu chamboulée ne me suffit pas, Kaly ! Pendant un moment, j'ai bien cru que tu étais morte ! J'ai sondé tout ton entourage, tous ! Tu avais complètement disparu de mon radar ! Et d'un coup, l'autre abruti de Kilian s'est volatilisé aussi ! Ça ne pouvait pas être une coïncidence, mais aux dernières nouvelles, c'était un connard arrogant chez qui tu ne voulais pas remettre les pieds !
Décidément, tout le monde s'en souvenait de ce coup là...
Adossé au placard de la salle de bain, « l'autre abruti » se fendit d'un sourire mauvais.
- Je t'aime aussi, Alice... lança-t-il à l'appareil d'un ton acide.
Alice ne broncha pas une demie seconde en réalisant qu'elle était sur haut-parleur. Le portable cracha de plus belle.
- Tu sais très bien ce que je pense de toi Kilian, et je me fous bien que tu crèves ou non si tu veux tout savoir ! Mais ce que je veux savoir, moi, c'est ce que fout Kaly chez toi, et pourquoi vous avez tous les deux disparu de mon radar !
Kilian ouvrit la bouche pour répliquer, mais je me remis debout d'un bond et sortis de la salle de bain avant qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit. J'avais les jambes en coton, et me traînais difficilement jusqu'au canapé du salon, mais entre parcourir quelques mètres et entendre ces deux là s'écharper au téléphone, mon choix était vite fait.
- Désolée, Alice, calme toi s'il te plaît. Répétais-je d'un ton las.
Voyant le sang qui s'étalait de mes mains jusqu'aux avant-bras, je finis par bifurquer vers la cuisine et posai le téléphone près de l'évier. Mais mon amie n'en avait pas fini, et je l'écoutais d'une oreille débiter des tirades furieuses tout en grattant sur mes bras les traînées écarlates qui commençaient déjà à sécher.
Je m'essuyais les mains sur un torchon quand elle parut enfin avoir vidé son sac. Je demandai très sérieusement.
- Ça va mieux ?
Elle poussa un long soupir, et reprit d'une voix à peu près normale.
- Ouais, c'est mieux. Bon, tu vas me raconter ce qu'il t'arrive ou il faut que je me ramène jusque chez l'autre pour avoir droit à une explication ?
Je réprimais un frisson en imaginant mes deux amis à nouveau réunis dans une même pièce.
- Pas besoin d'aller jusque-là, fis-je un peu précipitamment.
Alice gronda.
- Alors tu ferais mieux de te mettre à table tout de suite Kaly, parce que si je n'ai pas d'explication dans les cinq prochaines minutes, je prends le premier téléporteur pour Cadis et te botte le cul en personne jusqu'à ce que tu craches le morceau !
Je déglutis. Elle ne rigolait pas. Alors pour la deuxième fois, je me mis à raconter en long en large et en travers mes mésaventures de la veille.
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FantasyJe m'appelle Kal, de mon petit nom Kalypso Bélinda Morgane Reed, sans doute la plus grande victime des lubies excentriques de ma mère, et accessoirement de mes vingt-cinq ans d'existence banale à pleurer. Mais croyez-le ou non, j'essaie de me soign...