Elle contemple le ciel gris, depuis son siège rouge. Le roulis des roues la bringuebale, elle en a tellement l'habitude qu'elle ne fait même plus attention aux vibrations qui secouent sa joue appuyée contre la vitre.
Ses yeux s'emplissent de larmes. Elle serre ses lèvres. Elle n'a pas le droit de pleurer pour si peu. Si peu. Quand d'autres souffrent tellement plus, quand d'autres ne laissent pas leurs pleurs s'exprimer alors qu'ils auraient tant de raisons de le faire.
Elle n'en peut plus. Elle se sent mal. Elle a envie de hurler que sa place n'est pas là où elle va à contre-coeur. Elle a envie de s'enfuir en courant et de ne plus jamais revenir. Elle a envie de le dire autour d'elle, mais il n'y a personne pour l'écouter. Parce que ses problèmes sont futiles. Inutiles. Et surtout parce qu'ils sont toujours les même, et que tout le monde en a marre.
Alors elle ravale ses pleurs, et comme la neige fraiche, ils se déposent en fins flocons colants au fond de son cœur.
Le soleil darde ses rayons sur son visage. Elle voit que son amie ne va pas bien. Elle le sent. Elle le sait. Et elle le voit. Mais elle sait aussi que la presser de questions ne fera que la faire se sentir plus mal. Alors quand elle voit ses larmes... Une digue cède en elle, elle sent les pleurs affluer. Elle se précipite pour la serrer dans ses bras, elle sent vaguement qu'une autre de ses amie s'est fondue dans leur étreintes.
Faute de trouver des mots, elle essaye d'absorber une partie du chagrin de son amie. Elle essuie ses larmes, chuchote qu'elles sont là. Et puis un intense sentiment de culpabilité l'etouffe. L'étrangle. Quelle amie elle fait... Incapable de trouver des mots quand elle veut devenir écrivaine. Elle se déteste, même si elle sait que ça ne sert pas à grand chose.
Elle s'efforce de chasser ce sentiment, parce qu'elle sait que ça n'aidera pas son amie. Et qu'elle a encore toute la journée à tenir. Et alors, les flocons d'obsidiennes s'ajoutent au fond de son cœur.
Elle ne se sent pas bien. Elle a passé une journée affreuse, elle s'est noyée dans le sentiment de malheur que lui inspirent désormais tous ses cours. Elle se sent tellement inutile. C'est devenu le résumé de sa vie, inutile.
Elle n'écrit plus ses soucis, parce qu'elle les sait minuscules. Elle est indigne d'écrire ses peines. Sauf que puisqu'elle ne se sent plus libre, elle n'écrit plus. Fini les projets exaltants, les idées à minuit, l'inspiration et l'imagination. Elle doit se forcer, alors elle n'écrit plus.
Alors le soir elle ne parle pas de peur de gronder. Sauf que son père la pousse dans ses retranchements et qu'elle explose. Peut-être que ses parents seront capables de la comprendre? Et ils lui disent seulement qu'elle doit attendre et patienter, qu'ils ont vécu ça aussi.
Sauf qu'elle n'avait pas besoin d'être rassurée. Elle avait besoin qu'ils l'aident à trouver une solution. Les flocons d'ombre se déposent sur les autres.
Elle passe sa main dans ses cheveux d'obsidienne. Elle aime bien. Il la serre contre lui. "J'aime être avec toi". Le doute déchire sa poitrine. Et elle ? C'est sûr, c'est agréable d'être dans ses bras mais... Elle n'est plus électrifiée par son contact, plus transandée de joie juste en le touchant. C'est à peine si sa présence lui fait plus de bien que celle de ses amies.
Mais elle ne veut pas lui faire de la peine, alors elle lui répond "moi aussi j'aime bien être avec toi". Il la serre plus fort. Est-ce qu'elle ment ? Est-ce que ça veut dire quelque chose ? Est-ce que quelqu'un est là pour l'aider à démêler tout ça ? Non. Tant pis.
Les flocons d'onyx tombent lourdement, déchirent son coeur.
Elle baisse les yeux. La frustration l'envahit. Elle mord ses lèvres. Elle sait que son père a probablement raison, qu'elle devrait faire ses devoirs, qu'elle ne devrait pas devoir lui présenter le mot de sa prof de français.
Mais est-ce que c'est une raison pour la réprimander alors que ses résultats scolaires sont irréprochables ? Est-ce qu'il ne pourrait pas essayer de se demander si ce n'était pas pour le faire réagir autrement qu'en la grondant ? Elle suppose que non. De nouveaux flocons ébènes virevoltent et se posent dans son cœur.
Il lâche sa main. Elle se sent trahie. Il s'éloigne. Un pincement sert son coeur. Elle se sent coupable de ne pas l'aimer autant qu'il le mérite. Elle se sent coupable d'être celle que son coeur a choisi alors qu'il mériterait une jeune fille aussi formidable que lui. Elle se sent coupable d'être aussi horrible. Elle se sent coupable d'être elle, de ne pas savoir où elle en est.
Mais elle est seule, alors elle devra faire ses propres choix. Et ça la terrifie. Alors elle sourit pour de faux. Elle en est terrorisée. Ca faisait si longtemps qu'elle avait laissé sa carapce. Devoir la réenfiler pour un temps indéfini l'effraie tellement.
Elle essaie de comprendre. Et alors qu'il se ferme d'autant plus, elle commence à appercevoir une issue qui lui brise le coeur. Ses pleurs l'ettouffent, et quand elle essaie de former la phrase qu'elle veut lui dire avant de le quitter pour une semaine, sa voix se coupe. Elle ne veut pas ne plus pouvoir le toucher, le sentir, le prendre dans ses bras, lui chuchoter au creux de l'oreille qu'elle l'aime, le voir se dépasser comme lui seul en est capable, ou ne plus savoir dessiner un sourire sur ses lèvres un peu gercées. Et pourtant elle ne sait plus où elle en est.
Et ce qui lui fait le plus mal, c'est que lorsqu'il la prend dans ses bras parce que voir ses larmes est au dessus de ses forces, il chuhcote "mais pourtant, ça n'a pas eu l'air de te préoccuper aujourd'hui".
Alors elle sent un tourbillon de neige de nuit s'abattre sur son coeur. S'il ne sait pas voir ses faux sourires... Comment peut-elle penser qu'il la connait ?
Elle a encore raté. Elle a encore déçu son père. Une énième fois. Alors les larmes roulent toutes seules, elle ne peut pas les retenir. "Va te moucher". Elle acquiesce, comme si ça pouvait stopper ses pleurs.
Sa mère rentre. "Ouh, t'as pas l'air en forme toi...". Elle secoue la tête. Et puis elle sourit. "Tu veux nous en parler". Elle secoue la tête. "On peut aller dans ta chambre si tu préfère". Elle hésite. Et puis elle se rappelle qu'ils ne savent pas l'écouter. Alors elle répond en souriant "Non, je vais y aller seule." La neige qui tombe fait déborder son coeur.
Elle met son casque sur ses oreilles, ouvre son ordinateur, et essaie d'évacuer la neige. Où sont passé les rayons de soleil qui la font fondre habituellement ?
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Pluie de Larmes
RandomParce que parfois des larmes tachent mes textes. Et que les bavures qu'elles étalent ne sont pas si laides au final. Parce que parfois, écrire ne sert qu'à se vider d'un trop plein de noirceur, même si ce n'est pas sa propre histoire qu'on exprime...