19. "Tu ne sentiras rien"

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Je le devinais à peine, entre ses couvertures, je ne voyais que ses contours se dessiner à la lueur bleutée de la nuit.

Je m'approchai de sa tête, m'agenouillai et le fixai un moment. Je remarquai qu'il ne portait pas ses lunettes, posées sur sa table de nuit, ce qui était plutôt logique. Mais c'était un extrêmement bon signe, car sa myopie était un de ses plus gros handicaps.

Je pris ses lunettes et les pliai jusqu'à ce qu'elles se cassent en deux. Il y eu un petit bruit de craquement, qui sembla le réveiller. Il grogna, puis se tourna sur le côté, dos à moi. Il avait sûrement le sommeil léger, je ne devais pas faire de bruit, autrement ça en était définitivement fini pour moi.

J'attrapai mon sac, dans la plus grande discrétion, puis en sortis deux morceaux de miroir, qui émirent un léger tintement. C'est alors que je l'entendis se racler la gorge, il était donc totalement éveillé. Je me crispai à l'idée qu'il se retourne et qu'il me voit. Mais rien, il restait immobile.

Je devais faire vite et ça ne sera pas une chose facile de le tuer éveillé, mais tant pis, il fallait tenter.

Je pris un morceau de miroir dans chaque main, et doucement, très doucement, je me redressai, jusqu'à être à sur mes genoux, à la hauteur de son cou. Je retenais ma respiration, car étant juste à côté de son oreille, j'étais dans une posture extrêmement critique. Et avec la plus grande délicatesse, j'approchai mes bouts de miroir à quelques millimètres de son cou. Il ne bougea pas, il avait donc les yeux fermés.

Et d'un geste vif, je passai à l'acte. Je levai mes bras et plantai de toutes mes forces les morceaux de miroir dans la gorge de Julien. Il n'eut même pas le temps de réagir à temps et poussa un énorme cri de douleur. Affolée, je tirai son oreiller et le lui plaquai avec force sur la bouche, pour qu'il ne puisse plus crier. Il se débattit et réussit finalement à se lever, pour pouvoir m'échapper. Il courut jusque dans le coin de la pièce et se retourna pour me faire face. Et à la seconde où il croisa mon regard, il se figea, il m'avait reconnu malgré sa myopie. Cet instant fut une véritable vision d'horreur; il pâlit, me regardant avec ses gros yeux transparents, n'essayant même pas d'arrêter le sang qui lui coulait de la gorge. Il était tétanisé, totalement paralysé. Il ouvrit la bouche pour hurler, mais aucun son n'en sortit pour mon plus grand bonheur.

Je m'approchai doucement de lui, comme on s'approche d'un animal pour ne pas l'effrayer, et lui chuchotai;

"Ne t'inquiète pas, tout ira très vite, tu ne sentiras rien."

À vrai dire je n'en savais strictement rien. Mais le ton sur lequel je lui avait parlé me semblait plutôt pas mal. Il s'était un peu plus raidi, signe que je l'intimidais. Et tant mieux, sinon sa souffrance n'allait qu'empirer s'il essayait de m'échapper. Mais pour éviter un tel scénario, je pris garde de le retenir. La solution la plus simple, mais aussi la plus répugnante, fut de l'empoigner par le cou. Au moment où ma main exerça la pression, le sang en sortit, de façon incroyablement gluante, et passa à travers mes doigts. J'en avais partout, mais j'aimais ça.

J'eus peur de l'étouffer, et de ce fait de lui abréger ses souffrance, alors je desserrai légèrement ma main, puis, lorsqu'il reprit totalement son souffle je serrai un peu plus fort, et ainsi de suite. A chaque fois que refermais un peu plus ma main, il se levait sur la pointe des pieds, comme pour respirer encore un peu plus. Ses petits mouvement inutiles me faisaient rigoler, car il savait bien qu'il n'allait pas m'échapper, il savait bien que dans quelques heures, sa vie dans ce monde ne serait plus qu'un lointain souvenir.

Tenant toujours aussi fermement, j'attrapai mon morceau de miroir, et le passai délicatement sur ses bras et son visage, sans le faire saigner. Cela lui donnait la chair de poule. Je ricanai.

"Je ne vais pas plus m'amuser avec toi, tu es bien trop inintéressant pour m'occuper plus longtemps. Au moins, tu sauras qu'il ne faut jamais faire de mal à n'importe qui. Mais à quoi bon le savoir! Tu es mort, Julien. Tu es mort."

Je le tournai violemment, l'obligeant à être dos à moi. Au moment où il heurta le mur, du sang gicla et il s'en prit plein la figure. Je relevai son T-shirt, puis commençai à dessiner sur son dos nu. Je dessinai ce qui me tourmentait le plus; mon enfance. Ce n'était pas facile de le faire sur de la peau encore chaud et animée, mais je ne me débrouillai pas trop mal. Je me dessinai moi, puis mon père et ma mère. Les traits étaient sûrement grossièrement tracés, mais de mon point de vue, tout était beau et net. Alors je représentai mes amis, ma famille, mes peines, mes joies, ma vie. Cet acte représentait tellement de choses pour moi. Il représentait ce que je n'avais pas su faire depuis; animer ceux qui m'entourent, leur montrer à quel point j'avais besoin d'eux, à quel point ils sont égoïstes, en gardant férocement leur vie, sans prendre le moindre risque pour la mienne. Et tout cela se représentait par le sang qui s'écoulait toujours plus fort. Mais j'avais enfin réussi, mes personnages se vidaient de leur sang tandis que moi, placée en bas, je le récupérais dans leur chute.

Complétement plongée dans mon oeuvre, je sentis soudain la peau se détendre, le sang couler moins abondamment et la chair devenir froide et dure. C'en était fini. J'eus un petit regret, car j'éprouvais un réel intérêt à oeuvrer ainsi. Mais je n'avais pas totalement terminé. Laissant tomber lourdement le cadavre au sol, je lui relevai la manche de son T-shirt et y inscrivis mes initiales; VB. Voilà, je pouvais m'en aller la conscience tranquille.

Miroir, mon beau miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant