1. "Tu viens de t'en rendre compte?"

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//Avertissement: cette histoire comporte des scènes pouvant choquer ou dégouter les personnes sensibles. Alors abstenez-vous si vous êtes une âme fragile\\

-Eh, tu te bouges Brindille? Ah non, c'est vrai! Si tu viens jouer avec nous au basket, tu vas te briser en deux!

-T'es con Max! Elle se briserait pas en deux, mais en millions de morceaux!

-Grave! Eh, Vincent? Imagine des millions de bouts de Brindille partout dans la salle! Ça doit être dégueulasse!

Impossible de les arrêter, ils étaient partis dans un fou-rire incontrôlable. Tout ça parce que j'étais allée m'asseoir au bord de la salle de gym, pour éviter le match de basket.

J'aimais bien ça moi, le basket. Mais le basket avec deux abrutis qui se foutent de moi 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ça non, j'aimais pas.

Ces deux abrutis étaient Maxime et Vincent, même âge que moi - 15 ans, mais deux fois plus grands que moi. C'est ça qui les faisait marrer; ils s'en prenaient à moi parce que j'étais petite. Petite, maigre, timide, sans défense. Ils m'avaient d'ailleurs appelée "Brindille" (mon vrai nom étant Chloé) en référence à mon affreux physique. Oui, je faisais peur à voir. Mais je souffrais déjà assez, je n'avais pas besoin de toutes ces histoires en plus. Malgré ça, je ne disais rien, je ne me plaignais pas, J'endurais toutes ces douleurs seule, au point de me refermer sur moi-même, telle une huître. Depuis, j'avais l'impression que cette huître s'était transformée en un grain de sable. Un grain de sable banal et minuscule, que personne ne remarque, que tout le monde écrase. Tout cette souffrance, elle venait des mots, des insultes, mais ça pouvait aller jusqu'aux coups. Pas bien méchants, mais des coups quand même. Au début, j'étais choquée, et j'étais allée me plaindre à la direction de l'école. Personne n'avait rien fait. Alors maintenant, je ne me plaignais plus, je me contentais de pleurer, le soir, seule, dans mon lit.

Non, n'arrêtez pas de lire! Je sais que cette histoire ne commence pas bien, mais je dois me confier, vous comprenez? Restez, lisez cette histoire jusqu'au bout, ne me laissez pas, je suis seule, si seule. Je vais en devenir folle de cette solitude... Est-ce possible de sombrer dans la folie à 15 ans seulement? Non, ne dites rien, je connais la réponse...

-Vous êtes vraiment trop bêtes, soupirai-je.

C'était tout ce que je trouvais à leur dire à chaque fois. Si je les insultaient, ils me feraient: "Mais c'est qu'elle se rebelle la Brindille!"

-Ouais, c'est ça, t'as raison. On est trop bête! s'esclaffa Maxime en imitant mon timbre de voix.

La prof, qui me regardait du coin de l'œil, intervint:

«Bon, vous avez fini avec vos gamineries? Maxime, c'est toi qui vas te bouger et venir jouer. Je pense pas qu'on ait besoin de tes remarques débiles».

Je l'aimais bien Mme Riménez. Elle était tout le contraire de moi; drôle, autoritaire, grande, belle. Elle savait se faire respecter, même chez les mecs. C'était peut-être pour ça qu'elle profitait de cette qualité pour me protéger un peu. Je pense qu'elle m'aimait bien. Ou alors était-ce juste mon cerveau qui interprétait mal les choses, je ne savais pas.

C'était bien possible que je m'invente des protecteurs pour me rassurer, me protéger, mais ne vous inquiétez pas, je ne suis pas atteinte de graves troubles mentaux; j'ai simplement besoin de réconfort et un peu d'attention, rien de plus.

Bref, je passai le cours de gym assise dos au mur, à les regarder jouer. Dès que je voyais passer Maxime et Vincent, je priais pour qu'ils se ramassent la balle de basket dans la tête, qu'ils trébuchent et s'écrasent lamentablement sur le sol ou même qu'ils rentrent en collision l'un contre l'autre. Mais mes prières furent vaines, rien de tout ça n'arriva. Au contraire, ils jouaient parfaitement bien, enchaînant les paniers de basket, recevant les félicitations de toute leur équipe, particulièrement des filles bien entendu. Ça me dégoûtait. Comment pouvaient-elles aimer ces deux ordures? D'après ma théorie, basée sur des faits réels et étudiés, la popularité rendait les gens cons, les aveuglait, leur aspirant le peu de matière grise présente dans leur cerveau. Non, franchement je ne les comprenais pas toutes ces filles.

Dès que la sonnerie retentit, tout le monde arrêta de jouer, haletant, chacun en train de lutter pour reprendre sa respiration. Tous, sauf moi bien entendu. Il était 16h00, ce qui signifiait la fin de la journée, la délivrance comme à chaque fois. On salua la prof et les filles et garçons allèrent dans leurs vestiaires respectifs.

Je détestais me changer, même en présence de filles; étant donné que Maxime et Vincent étaient leurs modèles, leurs exemples, toutes se moquaient aussi de moi, à cause de mon ignoble corps. J'essayais donc tant bien que mal de me cacher pour enfiler mes vêtements, de sorte à dissimuler de mon mieux mes membres, mais c'était presque impossible au milieu d'une dizaine de filles qui ont les yeux rivés sur vous pour pouvoir rire encore plus fort en vous voyant vous tortiller comme une larve. Malgré cela, je menais toujours le même combat inutile.

Je pris mon jean, et le posai sur mes jambes, tout en enlevant mon training. Alors je m'arrêtai, et les regardai. Elles me semblaient tellement maigres tout à coup! Elles n'étaient pourtant pas aussi maigres quand je m'étais changée... Elles ressemblaient à deux bâtons recouverts de chair blafarde.

Et là, pour la première fois, j'eus peur de regarder mon propre corps, une peur mêlée au dégoût.

«Quoi? Tu viens de te rendre compte que t'étais horrible?» me fit Justine, en me snobant.

Elle passa la main dans ses cheveux pour se recoiffer et rigola hypocritement, me regardant de bas en haut, puis de haut en bas. Alors, toutes les filles l'imitèrent et pendant bien une minute, elles se moquèrent de moi, comme ça, ouvertement.

Je fis mine de les ignorer, mais ça a été bien dur de retenir mes larmes, ce coup-ci. Je réussis tout de même. J'attendis qu'elles partent toutes pour m'habiller. Je pris mon pull noir, et enfouis mon visage dedans, laissant échapper un grand cri de chagrin. Je les haïssais tous, toutes. Surtout cette immonde Justine, qui avait tous les garçons à ses pieds, qui se croyait être la reine, qui rigolait comme une écervelée, pour rien, avec ses petits yeux qui semblaient si sages, mais qui, en réalité, n'étaient que le revers de son infâme personne. Elle m'écœurait.

Je m'habillai sans trop me presser, puis sortis, baissant le regard pour que personne ne remarquent mes yeux gonflés et rougis par les pleurs. Je ne croisai heureusement que la femme de ménage, trop occupée à nettoyer les vitres pour me voir. Je montai tranquillement les marches de l'escalier, mon sac de gym à la main, et sortis du collège vide. La chaleur de cette journée de juin n'avait pas fini, il devait bien faire encore 30°. Pourtant, en regardant mes bras, je vis que j'avais la chair de poule. D'ailleurs, ils ressemblaient à deux vrais pattes de poules, fins, blancs, recouverts de centaines de petits points. Le dégout m'envahit à nouveau. Je ne supportais plus la vision d'horreur que j'avais de mon propre corps. Alors, je décidai de rentrer le plus vite possible chez moi. Je n'aurais peut-être pas dû, après réflexion...

Miroir, mon beau miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant