1.1 Perdus dans le désert

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Talitre plissa les yeux. Elle crut distinguer un bâtiment parmi les dunes. Mais non : encore un mirage. De mauvaise humeur, elle serra si fort la bride de son sablin qu'il grogna. Pour se faire pardonner, elle lui donna une croquette de blaggspa. Elle n'avait aucune idée de ce que pouvait être le blaggspa, mais l'animal paraissait apprécier.

Il lui semblait que cela faisait des jours qu'Akhenaton et elle erraient dans cette étendue désertique. Pourtant ils avaient commencé leur périple à peine deux heures auparavant. L'immensité du désert l'agaçait, ainsi que la chaleur des rayons du soleil et les rafales de grains de sable.

- Gnna beuh buh ! Azon uhpoz.

- Enlève ton cache-nez, la réprimanda son compagnon, je ne comprends pas quand tu parles.

- J'en peux plus ! Faisons une pause.

- Comme tu voudras, princesse.

Elle pesta après ses ancêtres en descendant de son sablin. Pourquoi la nouvelle génération payait-elle toujours le prix des précédentes ? Si l'humanité n'avait pas réduit de magnifiques plaines fertiles en bac-à-sable géant, la jeune fille n'aurait pas à se plaindre du désert. Elle pourrait se concentrer sur la pollution des villes, les inégalités sociales, l'épuisement des ressources, les publicités mensongères, les voisins bruyants, les gamins mal élevés...

Akhenaton descendit à son tour de son sablin et attacha les deux dauphins des sables l'un à l'autre. Il leur banda les yeux pour qu'ils ne s'affolent pas et éviter qu'ils prennent la fuite. Le jeune homme sortit de sa besace une immense carte. Après l'avoir tournée dans tous les sens, il la posa sur un rocher relativement plat.

- Nous sommes là.

Il pointa son index manucuré sur un point imaginaire perdu au milieu d'une étendue jaune pâle. Talitre ne dit rien mais pensa très fort qu'il n'avait aucune idée d'où ils se trouvaient. Elle ne lui en voulait pas car comment distinguer un grain de sable d'un autre ?

- Réjouis-toi : nous avons fait la moitié du chemin. Nous devrions atteindre l'Oasis d'ici deux heures. Elle se situe derrière ces montagnes, là-bas.

Il indiqua une masse grise et floue à l'horizon. Puis il roula soigneusement la carte pour la ranger dans son sac. Talitre sortit du sien de quoi grignoter : un concombre flétri et des barres chocolatées. Elle partagea la nourriture sous l'œil interrogateur de son ami.

- Écho m'a donné le concombre, expliqua la jeune fille. Elle dit que ça peut toujours être utile. Moi, je crois que c'est surtout pour me forcer à manger plus de légumes.

- Ta sœur est vraiment bizarre. Mais elle n'a pas tellement tord : tu te nourris quasi exclusivement de sucre.

Stupéfaite, Talitre en lâcha son chocolat. Elle le ramassa et l'épousseta avant de le fourrer dans sa bouche : pas de gaspillage.

- C'est pas de ma faute si mon organisme est accro au glucose, fructose, saccharose et autres oses. Ah tiens, j'ai du sable entre les dents maintenant ! Tu vois que je mange diversifié !

- Chérie, t'es vraiment de mauvaise fois.

- Toujours. Tu viens de t'en apercevoir ?

Un grognement leur hérissa les poils du dos. Ils se tournèrent avec une extrême lenteur. Trois molosses enragés les fixaient. Les deux amis n'osèrent bouger. Les sablins aveuglés se tortillaient de peur.

- Libère-les ! hurla Talitre pour couvrir les aboiements de plus en plus appuyés.

Akhenaton se déplaça aussi lentement qu'il put vers leurs montures, sortant un canif d'une poche de sa veste. D'un geste vif il coupa leurs entraves puis leur ôta leurs bandeaux. Les bêtes glapirent d'effroi et se hâtèrent de plonger dans le sable.

- Vers les montagnes ! cria Talitre décampant sans demander son reste.

Deux chiens suivirent les sablins qui sautaient de temps en temps hors du sable, tels des dauphins hors de l'eau. Le troisième prit en chasse les deux compagnons. Akhenaton bien plus rapide que la jeune femme la jeta de force sur son épaule comme un vulgaire sac de farine.

- Que tu es lourde ! Si tu mangeais des légumes...

- Encore cette histoire ? On est pourchassé par un... Ah !

Le chien venait de sauter sur le dos du colosse, le faisant basculer en avant. Talitre roula boula et se rétablit plutôt élégamment. Son compagnon de route était en mauvaise posture. Il luttait pour éviter les crocs acérés du molosse. Sa gueule se refermait avec un claquement assourdissant pour mieux se rouvrir, toujours plus proche de la gorge de son repas. Une bave blanche et odorante coulait abondamment sur le visage bronzé du garçon.

Pour un grain de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant